La journée a été marquée par les commémorations des attentats du 13 novembre. Dans les médias, le gros de la couverture s’est concentré sur le parcours des survivants, des victimes et de leurs proches. Les polémiques et les réflexions sur les erreurs ont surtout été le fait de documents –parfois de qualité– diffusés ou publiés les jours précédents. Avec une certaine élégance, il y a ainsi eu un temps pour la réflexion et un autre pour le recueillement.
Pour beaucoup d’observateurs, le 13 novembre a pourtant été un terrible échec sur le plan sécuritaire :
- Le renseignement a échoué à identifier un bon nombre de pistes qui auraient pu changer la donne, notamment avec un djihadiste ayant témoigné de la volonté d’Abaaoud de frapper la France durement.
- La coordination des services d’intervention a également été mauvaise, avec des policiers dépassés par les attaques multi-sites, auxquelles on s’attend pourtant depuis plusieurs années.
- Les secours ont également été dépassés en termes de volume, avec un SAMU soupçonné d’avoir mis beaucoup trop longtemps à se mettre en route.
- Les autorités n’ont pas su faire un bilan honnête, en répétant à l’envie qu’il n’y avait pas eu de faille majeure dans le dispositif.
- Les responsables des services de sécurité semblent avoir manqué de capacité à mettre de côté les concurrences opérationnelles pour mobiliser toutes les volontés possibles au niveau global (police/gendarmerie) comme au niveau des unités d’intervention (BRI/Raid).
- L’armée s’est montrée incapable d’intervenir, avec un groupe Sentinelle qui n’a pu jouer aucun rôle concret et qui devient le symbole de l’impuissance de cette opération.
Pourtant, le ton de la journée semble avoir retenu une autre leçon de ces attentats. Les Français ont en effet fait preuve d’une certaine résilience. Loin d’avoir brisé le moral des citoyens, ces attaques ont été digérées. Si les inquiétudes -justifiées- restent omniprésentes, les Français ont montré qu’ils parvenaient et surtout qu’ils voulaient continuer de vivre le plus normalement possible.
Nombreux sont les gens qui ont de plus préféré retenir les actes héroïques de simples individus ce jour-là. L’un des plus impressionnants est certainement celui du vigile du Bataclan qui retraverse la salle entre deux salves de tirs pour ouvrir une autre porte de secours. Ou au niveau des forces de sécurité, celui de ces deux policiers primo-intervenants qui parviennent à neutraliser un premier terroriste d’un délicat tir au pistolet automatique à 25 mètres.
La quasi-totalité des médias ont également suivi des survivants qui ont raconté comment ils ont traversé l’épreuve. Loin de la haine ou de l’appel à la vendetta, ces derniers ont su garder à l’esprit les valeurs qui font la force de la France: humanité et respect de la mémoire. On saluera ainsi le travail du Monde qui a su transformer des victimes anonymes en individus dont tout un chacun peut se souvenir.
Ce ton, qui m’a surpris dans une période où l’on semble aimer cultiver les polémiques stériles, est des plus intéressants en termes d’influence. D’autant plus qu’il semble être le résultat d’une volonté collective citoyenne, plus que d’une instrumentalisation politique. Il m’a donné l’impression que l’échec stratégique (la France n’a pas réussi à déjouer une attaque majeure) était transformé en victoire symbolique (la France a survécu et s’est largement relevé de la blessure).
La victoire dans la défaite
Cette logique m’a fait penser à une tradition de l’armée de terre (je ne sais pas si la même chose existe dans la Marine) qui est assez originale : la célébration de défaites. L’infanterie de marine a ainsi pris l’habitude de commémorer la bataille de Bazeilles, tandis que la Légion étrangère optait pour celle de Camerone. Deux batailles où les soldats français ont fait preuve de beaucoup de courage… Avant de tomber.
Bazeilles a été, en 1870, une bataille terrible contre les Prussiens. Pour la première fois, marsouins et bigors combattent côté à côté dans une même division chargée par Mac Mahon de tenir cette ville, au flanc de Sedan. Les Français y font honneur malgré l’écrasante supériorité numérique de l’ennemi. Ils finissent par se replier, après avoir causé des pertes largement supérieures. Bazeilles n’est pas en soi une défaite stratégique, le commandement ayant obtenu des résultats plutôt bon. Mais elle reste une défaite et un carnage dans les rangs français… Qui deviendront donc, encore une fois, le symbole de l’héroïsme de l’infanterie et de l’artillerie de marine.
Camerone, en 1863, marquait de son côté l’histoire de la Légion qui mobilisait dans cette ville une soixantaine d’hommes face à… 2000 soldats mexicains. Les assiégés tiennent une journée face au nombre, avant que les six derniers survivants debout ne se rendent en obtenant l’autorisation de garder leurs armes et d’emporter leurs blessés. L’intérêt de la bataille, pour la France, est parfaitement limité. Les légionnaires étaient partis sécuriser un convoi de ravitaillement qui ne s’avérera pas vital.
Ces deux exemples montrent à quel point des défaites peuvent par la suite devenir le symbole de beaucoup plus. Que ce soit à Bazeilles ou à Camerone, le courage des hommes est devenu un exemple à suivre pour des générations de soldats qui apprennent que l’honneur et la bravoure comptent plus que la vie ou la mort.
Notre réflexion, aujourd’hui, ne vise évidemment pas à comparer le courage des hommes intervenus le 13 novembre à ceux des assiégés de Camerone (encore que?). Reste que si la propagande djihadiste s’est félicitée d’avoir pu frapper la France en son coeur, la journée de commémoration que nous venons de vivre montre que c’est peut-être l’inverse: le 13 novembre a montré l’inefficacité du terrorisme contre les Français. Car face à des individus qui ont ouvert le feu par surprise sur des foules de civils, ce sont d’autres individus beaucoup plus nombreux qui ont marqué ce jour par leur abnégation et leur capacité spontanée à porter secours, en se mettant en danger, en faisant rempart de leurs corps, en ouvrant leur porte, en rassurant, en donnant leur sang, en priant , qui pour sauver l’être aimé, qui pour sauver un parfait inconnu.
Le 13 novembre, avec le temps, ne sera peut-être plus une victoire terroriste des islamistes armés de l’Etat islamique, ni un fiasco des services de sécurité. Le 13 novembre restera peut-être dans la mémoire des Parisiens, des Français, le symbole du triomphe de la solidarité sur la haine, tout comme Bazeilles et Camerone sont le symbole du triomphe de la bravoure sur la mort. Car finalement, peu importe, peut-être, de vivre ou de mourir, tant que l’on sauve ce en quoi on croit: la liberté de vivre heureux.