Comment faire pour passer de la « pauvre petite Belgique » à la « brave petite Belgique ». C’est à cette question qu’a du répondre, en 1916, l’armée du petit royaume. Vendredi 9 janvier, lors d’une journée d’étude coorganisée par le Carism et IAMHIST, les chercheuses Leen Engelen et Bénédicte Rochet sont revenues sur un étonnant exercice d’influence et de contre-influence des Belges… contre leurs propres alliés.
Dans les débuts de la Première Guerre mondiale, la Belgique laisse ses alliés se charger de la planification et de la conduite des opérations de propagande. Les militaires et l’industrie civile belges ne disposent alors pas de capacités cinématographiques. Or rapidement, les Alliés construisent un projet qui positionne la Belgique dans une position de victime. Les opérations d’information, principalement destinées aux opinions publiques, insistent sur la violence des armées allemandes contre les Belges.
L’un des récits les plus connus et les plus représentatifs est celui des enfants aux mains coupées. Comme le rapporte Arthur Ponsonby dans son ouvrage Mensonges et rumeurs en temps de guerre, les Français, les Britanniques ou encore les Américains ont très largement raconté dans leurs médias que leurs ennemis perpétraient des crimes de masse contre les enfants belges: les horribles boches coupaient systématiquement les mains des petites victimes. Selon les explications, il s’agit soit de s’assurer que les jeunes ne puissent plus jamais se servir d’une arme, soit de barbarie bête et méchante.
Evidemment, Berlin nie en bloc. Mais sans grand succès: des individus fortunés vont même aller jusqu’à organiser des quêtes au profit des petits malheureux… qui ne pourront évidemment jamais être retrouvés. Ces récits, dans les journaux, choquent profondément le public qui y voit une preuve de la nature profonde de l’ennemi. Barbariser l’adversaire est l’un des dix principes fondamentaux retenus par Ponsonby en matière de propagande. Il faudra attendre encore une vingtaine d’années après la guerre pour les populations commencent à accepter l’idée que cette propagande reposait sur un mensonge.
Braves belges
Pour lutter contre cette image victimaire qui participe à démoraliser les Belges, le gouvernement décide de développer sa propre campagne de propagande. Il s’agit alors de prouver qu’eux aussi participent à l’effort de guerre, en toute bravoure. En 1916, un Service cinématographique de l’armée belge (SCAB) est créé. Une toute petite équipe, fondamentalement pionnière, de cinq cameramen et deux techniciens laboratoire… dont seulement deux des membres ont une expérience avant-guerre.
Les cadreurs restent tenus à distance des lignes de front. Ils filment principalement la vie des troupes, l’artillerie, les entraînements. Le roi Albert est également largement mis en scène, en uniforme, comme si lui même était impliqué dans le combat des soldats. La reine Elisabeth est présentée en infirmière, afin de servir d’exemple aux femmes belges. Les images de violence ou de combats sont totalement absentes.
Les images sont censurées selon un double processus. L’armée, tout d’abord, effectue un premier tri pour distinguer les éléments qui seront sélectionnés pour la propagande cinématographique. Le palais, dans un second temps, vérifie toutes les images mettant en scène la famille royale. Les images qui ne sont pas retenues… sont définitivement effacées.
Blagues belges
Ces films ont ensuite vocation à être diffusés lors des bulletins d’information, dans les cinémas d’Europe et des Etats-Unis. Ils doivent être un instrument de communication nationale et internationale, distribués via le bureau de la propagande belge. Aux Pays-Bas, ils sont plutôt bien reçu, probablement du fait de la présence d’un grand nombre de réfugiés belges. Pour les Belges eux-mêmes, rares sont ceux qui verront ces images… puisqu’une bonne partie du pays est occupée par les Allemands. Les militaires qui voient ces images n’y trouvent pas un grand intérêt, peu curieux qu’ils sont de voir leur propre quotidien.
Dans les autres pays alliés, notamment aux Etats-Unis, c’est un lamentable échec. Dans les cinémas, les images de l’armée belge font rire le public. Trop lentes et surtout, dénuées d’action, elles ne font pas passer les soldats belges pour des héros. Les Français et les Britanniques filment alors beaucoup plus directement l’action sur la ligne de front.
Après la guerre, les images du SCAB seront revendues et utilisées dans divers types de documents: fiction, clip politiques… Plus récemment, elles ont été ressorties et utilisées pour la commémoration de ce conflit, offrant une modeste participation des Belges à la matière mémorielle.