Parmi les réponses apportées à la question jihadiste, la France vient de lâcher sur les réseaux sociaux un message de contre-propagande aux formes intéressantes. A peine arrivée sur Internet, les avis sont déjà partagés chez les Internautes, qui y voient tantôt un message efficace, tantôt une parodie risquée et forcément inefficace. La vidéo, intitulée Stop Jihadisme, interpelle les candidats potentiels. Mais quel est l’objectif d’un tel message de contre-propagande?
Propagande contre propagande
On ne le rappelle jamais suffisamment mais la contre-propagande… EST une propagande. Il s’agit de répondre à la propagande adverse par des outils semblables, relevant des crédos de la propagande. On aura généralement recours aux registres propres à cette pratique: émotion, exagération, idéologie… et donc une bonne dose de manipulation. Le tout étayé de juste ce qu’il faut d’informations pour rendre le tout crédible. Il ne s’agit donc pas d’informer mais de faire la publicité -notion aux racines communes avec la propagande- d’une idée.
Ici, sur le fonds comme sur la forme, le message est intéressant. La vidéo reprend les codes visuels et sonores de nombreuses vidéos réalisées par l’Organisation de l’Etat islamique. Elle contredit quelques uns de ses principaux messages en affirmant le contraire avec comme arguments des images brutales et non sourcées. Des images qui proviennent largement de celles réalisées par les jihadistes eux-mêmes. Les musiques utilisées sont également tirées du répertoire le plus classique des jihadistes qui les utilisent régulièrement.
Ce mimétisme a toutefois quelques limites. Les Français se sont interdits l’utilisation de chants religieux, de versets du coran ou encore d’anashids, des poèmes récurrents dans les cultures musulmanes, dont les jihadistes exploitent largement ceux mêlant thématiques guerrières et religieuses. Une barrière qui était infranchissable dans un document signé du gouvernement français et qui l’aurait totalement discrédité. Une barrière qui, de fait, signe ici une différence de registres entre les deux messages: la référence à une croyance supérieure à tout. Les valeurs républicaines, qui auraient pu être une alternative, ne sont d’ailleurs valorisées.
On notera enfin que la France produit ici un élément de propagande blanche, c’est à dire un document signé. Une démarche qui répond à la fois à un besoin démocratique de pratiquer le moins possible de propagande noire (seules les forces spéciales et les services de renseignement ont recourt à ce type de méthodes)… mais aussi à une réponse en miroir à ce que font les jihadistes, qui signent presque systématiquement leurs documents.
Est-ce que ça peut fonctionner?
La propagande, cela fonctionne. Et même très bien. Celle de l’Organisation de l’Etat islamique en est un parfait exemple. Mais pour qu’elle fonctionne, il faut que son contenu, ainsi que les moyens mis en oeuvre, soient adaptés à l’objectif recherché. L’objectif de cette vidéo de la campagne Stop Jihadisme est d’alerter et de dissuader les candidats potentiels au jihad. La vidéo présentée ici est cohérente en matière de contenu et s’insère dans une stratégie plus globale.
Elle a cependant une grande faiblesse par rapport à la propagande qu’elle combat: elle ne propose pas d’alternative idéologique. La grande force du message jihadiste est d’offrir du sens: foi religieuse, égalité sociale, entraide au sein d’une communauté de valeurs et de croyances. Si la propagande de l’Organisation de l’Etat islamique manipule largement la réalité pour défendre ce message, elle ne l’en défend pas moins. La vidéo Stop Jihadisme ne propose pas de message fort et se contente de dire que celui de l’adversaire est faux. Pour un citoyen en quête de sens et d’identité, cela fera sans doute un peu léger. D’autant plus s’il est déjà convaincu plus ou moins complètement par le message jihadiste.
La propagande est souvent renforcée par le volume argumentaire. Les non convaincus ont tendance à se laisser convaincre par celui qui fourni le plus d’efforts pour le convaincre. Même s’il n’y a aucuns liens entre ses arguments et que la construction intellectuelle est biaisée. C’est aussi pour cette raison que les vidéos jihadistes durent longtemps: cela permet de fournir une multitude d’idées et de « preuves ». Cela permet aussi d’occuper le terrain cognitif de la cible. Difficile en 1’55 de répondre aux centaines d’heures de l’adversaire.
Cette vidéo, à priori expérimentale, sera un test. L’un des critères de son évaluation sera sa viralité: si beaucoup de gens la relaient, ils rendront d’autant plus visible le rejet collectif de la barbarie jihadiste. La réalité de cette menace et son traitement médiatique rendent en effet très visibles les quelques centaines de volontaires français… sans toujours bien permettre aux millions de Français n’y goutant guère d’être entendus. On peut imaginer qu’un jeune Français intéressé par le jihad sera influencé par le fait que des dizaines, voire des centaines de personnes autour de lui relaient ce message-ci, plutôt que celui diffusé par la communauté favorable au jihad. Cela sera-t-il suffisant? Probablement pas.
Propagande ne fait pas sens
Cette vidéo n’est que l’un des éléments d’une campagne d’influence contre le jihadisme. Cette dernière intègre également des opérations d’information, sous la forme de vidéos pédagogiques visant à faire comprendre ce qu’est le jihad et comment se protéger contre la propagande liée. Elle prévoit également des méthodes judiciaires qui interdisent certaines pratiques, comme l’apologie du terrorisme ou le recrutement pour la guerre dans certains pays, comme la Syrie. Enfin, elle prévoit la mise à profit de réseaux humains, notamment via les mosquées et le système éducatif, pour informer, convaincre et alerter sur les risques.
La propagande, qui a très mauvaise presse en France pour des raisons principalement historiques, reste peu pratiquée par les organismes d’Etat, en dehors des armées en opérations. On lui préfère en général de la publicité, plus subtile et intégrée à des espaces précis. S’il s’agit sur le fonds de la même chose, la publicité laisse un choix: adhérez à notre message, c’est bien pour vous. La propagande laisse entendre que l’alternative au message promu n’est pas acceptable.
La propagande, dans tous les cas, ne pallie pas au manque de sens et de perspectives pour les gens visés. Sur le long terme, il reste important d’avoir quelque chose à proposer au citoyen: une appartenance, une communauté de valeurs et de références, une volonté d’aller vers un but collectif qui fasse sens. Il est peu probable que l’Organisation de l’Etat islamique puisse répondre à ce besoin, tant la violence reste un pilier de son fonctionnement. Reste à savoir si la France peut parvenir à le faire sans laisser sur le côté un nombre conséquent de laissés pour compte offerts à l’adversaire. Un peu comme une bonne publicité pour un hamburger ne peut vous fidéliser sur le long terme si vous ne prenez pas un vrai plaisir à croquer dedans…