C’est une bombe d’un genre assez particulier que l’armée de l’air américaine a largué au dessus de Raqqa le 16 mars dernier. Tirée depuis un F-15, cette PDU-5B a permis de lâcher à proximité de celle ville stratégique pour l’organisation de l’Etat islamique (OEI) quelque 60 000 tracts. Une information qui vient de sortir dans le journal USA Today et qui a ensuite été confirmée par des officiels du commandement central américain (US Centcom).
Les tracts en question présentaient un dessin illustrant l’OEI en train de passer des jeunes candidats au jihad dans une broyeuse à viande. Indiquant un bureau de recrutement, les deux combattants font signe au premier dans la liste d’attente que c’est au tour de son numéro. L’ambiance est sombre et les personnages ont un style très cartoon, proche des comics très répandus aux Etats-Unis. Les deux combattants ont des visages monstrueux et une attitude sordide. Les volontaires, dans des tenues neutres, ont l’air parfaitement insouciants… sauf le prochain, qui semble terrifié.
Le style du dessin laisse penser qu’il s’adresse à une jeunesse connectée, typique des volontaires de l’OEI. Qu’ils soient Occidentaux ou Arabes, ces jeunes ont en effet une sensibilité culturelle et symbolique à ce type d’images. La communication de l’organisation le prouve: les références cinématographiques et vidéoludiques y sont omniprésentes. Le public visé est donc certainement baigné de cette scénographie.
Le message est clair: si vous rejoignez l’OEI, vous finirez en chair à canon. Il vise à démobiliser des jeunes candidats, arrivant ou étant récemment arrivés sur le front. Alors que les informations et les rumeurs sur des déserteurs, parfois sévèrement punis, circulent largement, l’armée américaine joue ici sur un doute qui circule probablement dans les rangs des jihadistes et dans les populations locales.
Le tract, bouteille à la mer
Le largage de tract est un outil qui pourrait sembler désuet face aux réseaux sociaux massivement exploités par les jihadistes. Il est pourtant encore très largement utilisé par les armées occidentales. Les spécialistes des psyops (MISO dans l’armée américaine, pour Military influence support operations) savent que grâce à ce type de tracts, ils peuvent toucher le public visé, jusque dans son intimité. Les documents peuvent en effet facilement voler dans les rues, entrer par les fenêtres, tomber dans les jardins… Difficile de les ignorer. Sur la durée, les tracts égarés peuvent également réapparaître régulièrement ici et là. Le tout pour le coût de quelques dizaines de milliers d’affichettes, raisonnable même s’il demande une grosse logistique derrière.
Les tracts sont utilisés par la plupart des armées de l’Otan (France, Allemagne, US, Royaume-Uni, Roumanie, Pologne…) et l’ont été sur de nombreux théâtres d’opération. En Afghanistan, l’armée américaine en a utilisé sous de nombreuses formes. Je rappelle l’une des plus kitchs et sympathiques, la photo de « Moustache Ben Laden », dont j’avais déjà parlé ici, utilisée pour le discréditer. Plus récemment, cet outil a été utilisé en Libye ou en Irak.
Les Irakiens, d’ailleurs, ont déjà employé cette arme plus tôt au mois de mars. Avec l’aide de gros porteur, des C-130, ils ont largué au dessus de Mossoul des dizaines de milliers de tracts annonçant la libération prochaine de la ville. Un message qui pouvait viser aussi bien à faire peur aux combattants jihadistes, qu’à rassurer (ou faire douter) les populations civiles quant à l’avenir prochain des occupants.
Une arme ultra-moderne
Cette opération sur Raqqa est l’occasion de découvrir une bombe relativement récente, la PDU-5B. Le Washington Post a récolté quelques unes des images publiées par le passé par l’armée américaine, lors d’exercices, qui permettent de bien comprendre comment elle fonctionne. Remplie de rouleaux d’affichettes, elle est larguée depuis un avion de combat avant de projeter son contenu dans le ciel.
Les armées développant leurs unités psyops continuent de développer de nouveaux vecteurs pour larguer leurs tracts. La PDU-5B, du fait de sa petite taille et de son format de bombe, permet d’être tirée depuis un avion de combat. Plus habituellement, ce sont des cartons lâchés depuis des avions de transport qui sont utilisés, comme l’ont fait les Irakiens. On peut également utiliser des hélicoptères ou même des mortiers. Enfin, l’un des vecteurs couramment utilisés, notamment lorsque la cible est une population civile que l’on souhaite convaincre, reste l’homme: les soldats peuvent distribuer avec une grande efficacité ces petites affichettes afin de faire passer un message clair et simple.