« Il faut des patriotes à la tête des ressources informationnelles de l’Etat. » En 2013, Vladimir Poutine dressait ainsi les profils qu’il souhaitait voir pour diriger les médias russes. Le président, en homme d’information, sait quel rôle stratégique jouent les chaînes de télévision (regardées par 90% de la population), les radios, les journaux et Internet. Dans un très long article, le magazine américain The Atlantic s’intéresse à la relation de Vladimir Poutine avec l’information, et du ressenti des journalistes travaillant en Russie.
Poutine, addict aux médias
Dans ce reportage, le conseiller médias du président russe, Dmitry Peskov, décrit l’omniprésence de la question médiatique dans le quotidien de Vladimir Poutine. Ce dernier consulte en permanence des synthèses de l’ensemble de la production médiatique nationale, ainsi que d’une partie de la presse internationale. Des fonctionnaires dédiés à cette tâche réalisent en permanence une veille médias afin d’identifier les points chauds de l’actualité tels qu’ils sont perçus par le grand public. Tous les médias russes, nationaux comme régionaux, sont étudiés, ainsi que la presse anglophone et germanophone.
Peskov explique que le président russe peut ensuite confronter ce récit médiatique aux autres sources d’information dont il dispose: ministères et services de renseignement. Il en tire une compréhension de la situation politique qui peut dépendre de plusieurs grilles de lectures différentes sur lesquelles il peut jouer pour obtenir des effets sur les perceptions.
On peut également noter que la télévision joue un rôle important dans l’information du public russe. Au moins 90% de la population utilise ce support pour s’informer. Le conseiller de Poutine confesse également que ce dernier n’est pas réellement à l’aise avec Internet: d’où l’utilité d’avoir des spécialistes pour décrypter et analyser les sources en fonction des médias et des sujets. L’article insiste, enfin, sur la carrière de Poutine dans le renseignement, y voyant un indicateur de son approche actuelle. Je ne me prononcerais pas pour ma part là-dessus, la conclusion me paraissant un peu facile.
De la gestion de l’information à la propagande
Il n’y a bien sur rien de surprenant à ce que le dirigeant d’une puissance majeure entretienne un contact aussi intime à l’information, indispensable pour bien décider. Les témoignages de plusieurs journalistes dans l’article de The Atlantic laissent pourtant penser qu’il existe une véritable pression sur les médias dissonants. Tous soulignent qu’il ne s’agit pas de menaces physiques directes -en général- mais plutôt d’une pression systématique, politique, judiciaire et financière. Le cas de NTV, au début des années 2000, illustre bien cette situation: les propriétaires avaient été visés par des accusations de fraudes, les poussant à vendre la chaîne… à Gazprom.
Ilya Klishin, une journaliste russe travaillant pour la chaîne de télévision indépendante Dozhd, explique ainsi: « Vous ne pouvez pas dire qu’il n’y a pas de médias indépendants en Russie. Je travaille pour une chaîne indépendante, après tout. Le diable est dans les détails et nous sommes complètement surpassés en termes de moyens. Ce qui se passe en Russie, c’est comme si Fox News prenait l’ensemble des ondes, expulsant MSNBC du câble, obligeant les libéraux à émettre depuis un petit appartement de Brooklyn. » L’équipe de Dozhd, elle, travaille effectivement dans un simple appartement, faute de pouvoir louer des locaux: ils sont convaincus que des pressions seraient exercées sur tout propriétaire qui accepterait de les recevoir.
Les journalistes interrogés sont pourtant bien obligés d’admettre que le conflit idéologique qui sévit au sein de la population russe n’est pas à leur avantage. Après des critiques trop sévères à l’égard de la politique de Moscou en Ukraine, la radio Echo de Moscou a ainsi perdu 15% de son audience. Dozhd également a payé cher une audace trop déplacée: questionner le choix de la Russie soviétique de ne pas renoncer à tenir le siège de Leningrad, extrêmement coûteux en vies humaines… un sujet qui reste largement tabou pour les Russes.
Progression dans le domaine de la lutte médiatique
Dans le N°111 du magazine DSI, nous nous penchions sur la stratégie d’influence de la Russie. Sujet revenu dans le hors-série consacré à la guerre psychologique, actuellement dans les kiosques. Moscou coordonne parfaitement le travail de ses forces armées, de ses services de renseignement, de sa diplomatie… et de ses médias. La gestion de l’information et son utilisation pour triompher dans la bataille est historiquement assimilée par les Russes qui parlent de Maskirovka. L’intégration de la Crimée à la Fédération était ainsi célébrée en mars dernier par un Poutine accompagné de son ministre des Affaires étrangères, de parlementaires, de responsables des services de renseignement, de quelques idéologues… et des patrons des principaux médias publics. Comme si François Hollande se félicitait d’une intervention encadré de Laurent Fabius… et du patron de l’AFP.
Si le champs médiatique est un terrain de luttes idéologiques, les Russes gagnent constamment du terrain à l’échelle mondiale. La presse doit-elle être libre? Comment garantir l’accès à une information de qualité? Quel rôle doivent jouer les Etats? La perte de confiance généralisée envers les médias occidentaux et une utilisation optimale, notamment d’Internet, ont permis à des antennes russes de gagner une visibilité colossale. Nombreux sont les citoyens, notamment français, à considérer Sputnik comme une source d’information alternative plutôt fiable. Et peu importe si le site d’information public ne critique jamais les décisions de Moscou… le principal reste d’y trouver ce que l’on espère y trouver.