Si l’on en croît le journal Le Monde, le groupe de suspectés terroristes appréhendé cette semaine a fait l’objet d’une communication des plus brouillon. Pour rappel des faits, trois hommes ont été arrêtés ce lundi 13 juillet: un mineur de 17 ans, un compère de 19 ans et un troisième camarade de 23 ans, qui a ceci de particulier qu’il a été réformé de la Marine nationale. Leur projet visait à capturer un gradé de l’armée afin de le décapiter et d’en diffuser les images, pour la plus grande gloire de l’organisation Etat islamique. Les trois suspects sont loin d’être des terroristes aguerris, leur absence totale de discrétion sur les réseaux sociaux ayant permis de les cueillir. Ils auraient tout de même été en contact avec des militants en Syrie.
Cette information, c’est François Hollande qui va la révéler au cours d’une visite à Marseille. « Cette semaine nous avons prévenu des actes terroristes qui auraient pu être produits, annonce le chef de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur fera une communication demain. » Immédiatement, Bernard Cazeneuve n’a plus le choix et doit communiquer sur ce dossier. Il évoque un quatrième homme, plus jeune, et surtout, donne quelques détails sur le projet.
Et là, patatras. Toute l’opposition en profite et interroge une éventuelle instrumentalisation de l’affaire. Le ministre de l’Intérieur, en insistant sur la spécificité de l’un des profils, celui de l’ancien militaire réformé, donne l’impression d’un gros coup. Or, bon nombre de connaisseurs de ce type de dossiers voient ici l’arrestation d’apprentis terroristes à la petite semaine. Identifiés parce que très peu prudents, on peut se demander quelle réelle capacité opérationnelle ils avaient.
Et là, c’est le festival. Hervé Morin, président de l’UDI et ancien ministre de la Défense, épingle la « surcommunication insupportable » de la présidence, à propos d’un sujet peu clivant. Frédéric Péchenard, directeur général des Républicains et ancien policier, en profite pour aller un poil plus loin: « communication politique (…) probablement pour masquer un certain nombre d’échecs du gouvernement ou de difficultés dans les domaines du chômage ou [de l’économie]. » Même logique côté Front National avec Wallerand de Saint-Just qui reprend le même vocabulaire mais en faisant lui un lien avec « la politique d’immigration« .
Au sein du gouvernement, on se sert les coudes. Le Premier ministre Manuel Valls, ancien locataire de la Place Beauvau, se félicite de bons résultats: « Régulièrement nous déjouons des attentats. Les services de police et de renseignement ont arrêté des dizaines de ces individus. » Même son de cloche avec la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal: « Je pense [que François Hollande] a estimé qu’à un moment il était important de montrer que les Français étaient protégés. Il est important que les Français le sachent à partir d’un exemple. »
Le terrorisme, un non-message comme les autres
Rappelons que la communication a pour objectif de justifier une action en informant son interlocuteur. On argumente pour, comme l’explique Aristote, affirmer ce qu’il y a de beau, de juste et de bien dans ce que l’on fait. La communication politique, elle, se concentre plus directement sur le bien. Lorsque le gouvernement s’exprime sur ce projet d’attentat, il s’agit donc d’expliquer que l’action gouvernementale est bonne. C’est d’ailleurs ce qu’expliquent Manuel Valls et Ségolène Royal.
On pourra poser la question du « qui ». Quelle est la personne légitime pour s’exprimer sur ce sujet? François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sont les responsables de la politique sécuritaire de la France et sont donc, en tant que tels, amenés à en présenter les résultats et les actions. Jean-Yves Le Drian en tant que ministre de la Défense, Christiane Taubira en tant que ministre de la Justice et Laurent Fabius, en tant que ministre des Affaires étrangères, auraient certainement des éléments d’analyse intéressants à proposer. Quid cependant de l’avis de Ségolène Royal qui, malgré la richesse d’une belle carrière de femme politique et de candidate à la présidence, ne semble guère être le meilleur interlocuteur pour s’exprimer sur la politique de renseignement, de police et de justice de la République.
Côté opposition, on retrouve la même logique. Hervé Morin ou Frédéric Péchenard s’étant largement immergés au cours de leurs carrières dans ce type de problématiques, peuvent avoir un avis à émettre. Mais que connaît Wallerand de Saint-Just au sujet? Et Nadine Morano sur France 2? Il semblerait que tout le monde ait un avis sur la question. Pas tellement pour parler de terrorisme ou de lutte contre le terrorisme, mais pour parler du gouvernement et de ses résultats.
L’attentat, la tentative d’attentat, la menace terroriste, deviennent prétexte à une communication et une confrontation de récits politiques qui porte sur autre chose que les faits évoqués. Dans ce débat par médias interposés, les différents participants ne discutent pas de la politique de lutte contre le terrorisme, de la réalité de la menace ou de ses causes. Ils discutent de ce qu’ils pensent du gouvernement. Or quel est l’intérêt, pour le public, de ce sujet, dès lors que des vies humaines sont en jeu? Il est inquiétant de voir que l’on risque de se retrouver à évaluer les décisions prises pour lutter contre le terrorisme en fonction de la verve des uns et de la côte de popularité des autres. Est-il vraiment nécessaire de rappeler à quel point le sujet est grave?
Bernard Cazeneuve tente de l’expliquer ici: « Lorsque j’interviens sur ces sujets-là, c’est parce que c’est le moment de le faire et parce que la relation avec le parquet antiterroriste nous a permis d’articuler nos communications, parce qu’il faut que les informations soient précises, que chacun soit dans son rôle. Il est normal que le ministre de l’Intérieur rende compte de l’activité des services de renseignements. Nous ne pouvons pas être dans la polémique car nous sommes concentrés sur l’essentiel (…), la protection des Français. » Oui, à condition que cette communication soit la norme, afin par exemple d’informer le public sur ce qui se passe. Or on sait très bien que la norme est en général de rester discret sur ce type d’affaires pour éviter d’alerter de potentiels suspects et complices et pour faciliter le travail de la police et de la justice.
Lors de certaines de ces interventions, les responsables politiques proposent quelques éléments de réflexion… mais toujours après avoir entamé un débat sans enjeu sur le gouvernement et ses résultats. Pour redonner du sens à cette communication et à ce débat politiques, il faudrait remettre les choses dans l’ordre. Parlons d’abord du fond, des faits, des idées. Et éventuellement, pour ce qu’il reste de temps à perdre, penchons nous un temps sur les querelles d’ego en buvant notre café. Cela révolutionnerait certainement la multitude de matinales qui interrogent le premier responsable politique venu sur une multitude de sujets… sur lesquels il n’a que rarement grand chose à raconter.