« Les armes aiment les paroles. Elles font des armes neuves. » Philippe-Joseph Salazar, en fin rhétoricien, se penche dans ce petit ouvrage sur les Paroles armées de l’Etat islamique. Une ambition: « comprendre et combattre la propagande terroriste« . L’auteur s’y penche sur ce qui compose le discours de cet ennemi, tant sur le fonds que sur la forme.
Nous retiendrons d’abord une problématique qui pose beaucoup de problèmes aux autorités françaises, dans leur lutte contre le jihad: le recours à un style islamique et à une interprétation du coran. Le style, fleuri, de l’ouvrage religieux, est ainsi particulièrement perturbant dans nos contrées: « Contre ce style-là, nous sommes démunis, écrit Salazar. Notre langage politique est stérile en comparaison, banal rhétoriquement et poétiquement déficitaire. » La logique argumentaire, dans une lutte pour convaincre, est dépendante de normes culturelles, littéraires, historiques. Là où pour les rhétoriciens occidentaux, l’analogie ne peut faire office que d’exemple… Elle a valeur d’argument dans la tradition islamique.
Dans ce combat avec les mots, dans la continuité de la lutte par les armes, les Français -entre autres- sont parfois perdus. « En cas de pourparlers, écrit l’auteur, il faudra admettre qu’envoyer des diplomates parlant arabe ne suffit pas. Il faudra penser islamique, parler islamique, argumenter islamique. Se mettre à portée rhétorique de l’adversaire. » Cette difficulté à s’approprier le langage de l’adversaire, que Salazar qualifie même de « panique linguistique », entraîne des réactions et des réponses de mauvaise qualité.
Il prend comme exemple la fameuse vidéo de contre-propagande stop jihadisme, lancée par le gouvernement français : « La bévue fondamentale de cette vidéo, dont la source est évidemment la doxa politique, est le refus d’envisager le djihadisme autrement que comme une pathologie d’imbéciles. » Une erreur stratégique, largement répétée depuis des mois et des années par de nombreux intellectuels et décideurs français. J’ai moi même été régulièrement atterré par l’analyse de certains, pour qui les jihadistes étaient une horde de fous violents, nourris d’incompréhension du coran, d’une haine gourmande de la violence et noyés dans un combat dénué de projet politique. Or le projet existe. Les ambitions existent. Le djihad est nourri de l’espoir d’un modèle bien spécifique de société. Ceux qui décident d’y adhérer sont, comme pour tous les projets politiques, sociaux et idéologiques, aussi bien des individus nourris d’une réflexion assidue, que des naïfs convaincus par ceci ou cela (une image, une relation personnelle, un événement, un discours…).
Philippe-Joseph Salazar appelle, comme moi et comme d’autres, à la prise en considération de l’Etat islamique pour ce qu’il est: un ennemi coriace, talentueux et ambitieux. Face à sa puissance, il faut répondre avec la même ambition et le même talent. Dans cet ouvrage, c’est en matière de rhétorique et donc de mots, que l’on envisage cette riposte. Comprendre les choix de la communication adverse est la première étape vers la construction d’une réponse. Elle ne suffit pas: il faudra lui adjoindre l’intelligence de situation nécessaire au développement d’une rhétorique efficace… et pas à une simple propagande, en miroir de celle combattue.
Les éléments de réponse proposés pourront susciter autant de réflexions et de débats. Faut-il utiliser les mêmes procédés rhétoriques que l’adversaire (utiliser la poétique coranique, par exemple)? Faut-il montrer les images des crimes contre l’humanité dans leur entièreté, plutôt que de simplement suggérer l’horreur? Faut-il remettre en avant une morale et des leaders capables de riposter à l’alternative éthique proposée par l’Etat islamique? Autant de réflexions pour nourrir une riche campagne psyops dédiée à combattre la pensée et le discours de l’Etat islamique. Il ne s’agit en tout cas pas d’imiter l’adversaire, mais de parvenir à maîtriser mieux que lui ses propres méthodes afin de bénéficier de l’intégralité des outils mobilisables contre lui.
A lire: « Paroles armées, comprendre et combattre la propagande terroriste », Philippe-Joseph Salazar, Lemieux Editeur, août 2015, 259 pages, 14 euros.