C’est une action originale qu’a menée l’artiste Heba Y. Amin: elle a fait passer dans un décor de la série américaine Homeland un graffiti dénonçant le racisme… de la série en question. L’Egyptienne, contactée pour participer à la fabrication du lieu de tournage, en Allemagne, en a profité pour faire passer son message. En l’occurrence, difficile de le remarquer en regardant sa série favorite, même si l’on lit couramment l’arabe. Mais cela a été le prétexte idéal pour alerter les médias et tenir sa tribune.
Heba Y. Amin insiste ainsi dans les colonnes du New York Times sur les conséquences du succès de la série: « La présentation des événements et le lavage de cerveau au sujet de la région ont un impact réel sur la politique étrangère puisque des millions de gens tirent leurs informations de la série et n’arrivent pas à différencier les faits de la fiction. » Arrivée à sa cinquième saison, la série parvient généralement aux Etats-Unis à mobiliser entre un et deux millions de spectateurs par épisode. En France, Canal + en a fait l’un de ses trois meilleurs lancements avec une audience à 1,3 millions de téléspectateurs pour les trois premiers épisodes.
Pour ceux qui ne suivent pas la série, Homeland raconte le retournement d’un soldat américain, longtemps retenu en otage, par un groupe terroriste, et l’enquête menée par une officier de la CIA. De retournements en retournements, les personnages parcourent le monde arabo-musulman dans une multitude de scènes mêlant thriller, action et soupe sentimentale. La série est régulièrement critiquée pour des représentations caricaturales, pas toujours très crédibles, des villes ou des personnages choisis. On pourra toujours plaider pour l’innocence de la fiction. Mais le fait est que la recherche de réalisme en fait un objet culturel dont la plupart des consommateurs ne peuvent que difficilement distinguer les limites.
C’est ainsi qu’en 2012, les Libanais s’étaient insurgé contre la représentation de Beyrouth dans Homeland. Le ministre du Tourisme, Fadi Abboud, se lamentait alors dans Le Figaro: « Je dépense des millions pour des campagnes, dans les médias occidentaux destinés à effacer l’association subconsciente entre l’évocation de Beyrouth et celle de la kalachnikov et de la guerre. Un épisode comme celui-ci [NDLR: Saison 2, épisode 2], regardé par des millions de télespectateurs, anéantit tous ces efforts alors qu’il ne repose que sur des mensonges. »
Sans faire un lien aussi direct, des journalistes français avaient questionné la possible influence de cette série télévisée dans les soupçons formulés par le Front national (FN) après la libération d’otages. Alors que la présidente du parti, Marine Le Pen, s’étonnait de la longue barbe de l’un des concernés, un reporter lui demandait si elle regardait Homeland. Ici, on ne pourra pas affirmer que les cadres du FN sont sous l’influence de la série, puisqu’ils ont assuré ne pas la regarder. Cet exemple montre cependant avec quelle facilité des liens peuvent être établis dans les médias entre faits réels et scénario de la série.
La démarche de Heba Y. Amin pourra-t-elle corriger l’attitude des scénaristes et réalisateurs de Homeland? Difficile à dire. Elle pourra au moins sensibiliser les spectateurs qui auront l’occasion de lire des articles sur le sujet. Alex Gansa, co-créateur de la série, a réagit à l’incident en assurant ne pas en tenir rigueur à l’artiste. « De toute façon, Homeland a toujours cherché à être subversif et à stimuler la discussion, assure-t-il dans un communiqué. On ne peut qu’admirer ce sabotage artistique. » Aucun engagement, en tout cas, pour faire un effort de réalisme concernant les lieux et populations plaignants.