Les attentats qui ont frappé la Belgique ce mardi, dont le bilan définitif reste encore inconnu à cette heure, ont été revendiqués par l’Etat islamique (EI). En marge de l’opération en elle-même, dont nous connaîtrons mieux les détails au cours des jours qui viennent, il est intéressant de se pencher sur trois exemples de désinformation et de déception.
Pour rappel, les définitions que nous retiendrons dans ce billet :
Désinformation : Opération d’information reposant sur un mensonge, destinée à faire agir une cible à l’encontre de ses intérêts, à des fins politiques ou stratégiques.
Déception : Action de désinformation destinée à faire croire une cible à une possible action militaire, fausse, afin de la pousser à une mauvaise manœuvre.
Djihadistes : Déception et panique
La rubrique Les Décodeurs, sur le site du Monde, a relevé plusieurs exemples de comptes Twitter djihadistes diffusant de faux messages d’alerte à la bombe en Belgique. Annonçant des menaces dans les universités ou à la Commission européenne, ils incitaient les Bruxellois à encore plus de panique en multipliant les zones de crise possibles. Plus problématique, en évoquant des bombes dans un hôpital, ils appelaient à ne pas y transporter les blessés.
Sur la forme, on notera que certains messages ont également utilisé des images avec des textes renforçant les tweets. Un choix judicieux puisqu’un tweet accompagné d’une photo sera beaucoup plus partagé.
Le ton sur lequel sont proférés la plupart de ces messages devrait mettre la puce à l’oreille de la plupart des Internautes un peu prudents. La méthode doit cependant interroger les autorités : désormais, il faudra prendre en compte ce volet opérations d’informations en cas d’opération terroriste coordonnée.
Récupération russe
La semaine dernière, Lifenews, un média russe, racontait comme l’explique le site Bellingcat que deux frères biélorusses préparaient une attaque terroriste en Belgique. Suite aux attentats, Lifenews a repris cette information, assurant que les deux djihadistes, qui seraient passés par la Syrie, étaient en cause… Sans que rien ne permette de l’affirmer. Une information également relayée par le réseau d’Etat russe Sputnik. Sauf que dans la foulée, Radio Svoboda, un média biélorusse lié au service américain Radio Liberty, diffusait une interview des deux prétendus kamikazes.
Simple méprise de la part des journalistes de Lifenews ? La plupart des médias ayant relayé cette information ont corrigé. Lifenews est pourtant habitué à ce genre de bévues et publie très régulièrement des informations non vérifiées, particulièrement engagées. Une pratique qui, à nos yeux, en fait un média de propagande au même titre que FoxNews.
Beaucoup de citoyens russes auront, malgré les corrections, entendu un message qui permets de faire germer la petite graine de la désinformation : les gens qui ont attaqué Bruxelles sont les mêmes que ceux qui menacent la Russie, ce qui légitime la stratégie antiterroriste du Kremlin et crée une communauté de souffrance entre l’Europe et la Russie. Ils retiendront également que la Belgique n’aura pas tenu compte des avertissements du renseignement russe, pourtant si prompt à partager ses informations.
Et récupération ukrainienne
Pas mieux côté ukrainien où le patron du Service de sécurité d’Ukraine (SBU) Vasily Gritsak aurait raconté pendant une conférence devant des étudiants que les coupables étaient probablement des Russes : « Je ne serais pas surpris si cela faisait partie de la guerre hybride menée par la Russie. Maintenant, on risque de pointer du doigt Daech… Je ne l’affirme pas, mais je ne serais pas surpris qu’il s’agisse de Russes. »
A condition que cette information soit vraie -elle n’est relayée que par des médias russes-, il s’agit d’une maligne récupération du type auquel sont largement habitués une partie des responsables ukrainiens. Sans aucun élément de preuve, Vasily Gritsak instrumentaliserait ainsi les attentats de Bruxelles dans la lutte qui oppose Kiev à Moscou. Les esprits échauffés, voire paranoïaques, n’hésiteront pas à tisser des liens entre tous ces événements. Cette déclaration a immédiatement suscité de nombreuses et vives réactions au sein du pouvoir russe, outré par le propos.
La récupération de tels événements est d’autant plus facile que les processus opérationnels terroristes sont désormais repris par des groupes très différents. Au cours des dix derniers jours, des attentats ont ainsi été menés, sur trois continents différents (Europe, Afrique, Moyen-Orient) par des membres de l’Etat islamique, d’Al-Qaeda pour le Maghreb islamique ou encore de radicaux kurdes. Autant de mouvements qui n’ont en commun que la méthode. Facile pour le public de se perdre dans les nuances… Et de se faire récupérer par telle ou telle cause.
Sans oublier la mésinformation
Ces différentes opérations d’influence sont d’autant plus facilitées que dans une situation de crise comme celle-ci, l’ensemble des médias, professionnels ou amateurs, se précipite pour récolter quelques éléments. Dans le temps très court, malgré les efforts qui peuvent être faits pour recouper l’information, des éléments faussés circulent. Ainsi, de prétendues images de vidéosurveillance des attentats ont circulé jusque sur certaines chaînes de télévision ce matin. Il s’agissait en réalité d’un attentat passé à Moscou.
Pour se protéger au mieux de la mésinformation maladroite, et encore plus de la désinformation volontaire, voici quelques réflexes d’hygiène informationnelle en temps de crise :
- Suivre en priorité les conseils donnés par les organismes publics, notamment en ce qui concerne la sécurité. Savoir combien de gens sont morts est loin d’être une urgence à court terme.
- Les médias font ce qu’ils peuvent pour informer au mieux les populations dans des temps très courts. Mais l’urgence fait qu’ils relaient parfois des informations qui s’avèrent fausses. Attention donc à prendre avec parcimonie, même ce que proposent des médias et journalistes tout à fait sérieux.
- Relayez les informations certifiées, notamment des pouvoirs publics, via les réseaux sociaux. Si vous utilisez votre téléphone pour transmettre ces informations et ces consignes de sécurité, préférez un SMS à un appel, pour ne pas saturer les réseaux.
- Ne relayez pas les messages, même de grands médias, tout de suite. Patientez un peu pour être certains que ces informations sont parfaitement vérifiées, afin d’éviter toute contamination de panique par le biais de la rumeur.