Peut-être que comme moi vous l’aviez loupé mais, en juillet 2015, un rappeur iranien a sorti un étonnant morceau. Amir Tataloo y faisait l’apologie du nucléaire iranien, chantant notamment dans son refrain: « C’est notre droit le plus absolu d’avoir un golfe persique armé ».
Le jeune homme, particulièrement apprécié par la jeunesse de son pays, illustre son propos par des images de citoyens iraniens alertant l’opinion internationale avec des panneaux en anglais. « Ne vous faites pas avoir », « les Iraniens sont pacifiques » ou encore « nucléaire pacifique, énergie pour tout le monde ». Le tout avec une musique flottant entre inspirations hip-hop et rnb, sur des images léchées, aux effets spéciaux soignés.
Pacifique, Amir Tataloo l’est. Mais il est aussi capable de bander les muscles. Et « comme un policier brandit sa matraque », « il faut une protection pour les mauvais jours », chante-t-il. Du coup, on ne sait plus très bien si le chanteur parle du nucléaire « civil »… Ou de l’armée iranienne mise en scène dans la vidéo: reprenant en chœur son refrain, une compagnie de soldats apparaît armes à la main, tandis que lui chante sur le pont de la frégate Damavand en arborant un viril béret.
Le contexte de la diffusion de ce clip est des plus importants. En juillet 2015, les Iraniens se réunissent à Vienne lors des discussions dites à 5+1 visant à négocier la levée des sanctions contre l’Iran, en échange de plus de transparence sur ses projets nucléaires… Et d’un abandon définitif de l’ambition militaire.
Bad buzz
A l’époque, cette vidéo avait suscité une importante polémique en Iran. La question du nucléaire fait fortement débat dans le pays. Car si tout le monde s’entend sur le besoin d’avoir le nucléaire civil, certains continuent de défendre le droit de disposer de la dissuasion comme d’autres grandes puissances. Le clip d’Amir Tataloo avait alors été perçu comme une réponse des militaires eux-mêmes à la tendance prise par le gouvernement de Hassan Rohani, qui a permis une décrispation des relations entre Téhéran et l’Occident.
Pourtant, l’armée iranienne n’était peut-être pas si impliquée que cela dans le projet. L’un des hauts responsables de la marine, l’amiral Habibullah Sayyari a été interrogé cette semaine par les services de sécurité: il n’avait pas demandé l’autorisation de laisser le chanteur monter à bord de la Damavand et personne ne semble comprendre comment des hommes en armes et uniformes se sont retrouvés dans le clip. Dans une interview au journal Jame Jam, l’officier a assuré qu’Amir Tataloo lui avait donné un faux nom : « comme je n’avais jamais vu ses productions avant, il ne devait y avoir aucun problème ».
En admettant la bonne foi de l’officier, un pareil aveu questionne les conditions de sécurités au sein de la marine iranienne et la compréhension de son encadrement des enjeux liés à la communication. Pourtant, ce n’est peut-être pas tant le discours du chanteur qui poserait problème, mais le style de sa musique. Pour les Iraniens les plus conservateurs, Amir Tataloo est en effet considéré comme un relais d’influence occidental particulièrement néfaste. Sa musique n’est d’ailleurs pas diffusée sur les médias publics. La presse iranienne a laissé entendre que ce clip avait été une tentative de rentrer dans les petits billets des autorités afin de réduire la pression pesant sur lui.
Tatouages et prison
Amir Tataloo a en effet été arrêté en 2013, puis de nouveau en août dernier, accusé d’immoralité. Avec quatre albums à son actif, il n’est pourtant pas très impliqué dans les questions politiques. Plus que ses opinions, ce sont… Ses tatouages, qui posent problèmes. Ils donnent en effet une image que les conservateurs iraniens associent à la culture occidentale, sinon directement américaine.
Son interpellation avait suscité une forte indignation de la part de ses sympathisants sur les réseaux sociaux. Des dizaines de commentaires indignés avaient ainsi assiégé le compte Instagram de l’Ayatollah Ali Khamenei pour réclamer la libération du chanteur. Il faut dire qu’avec 3 millions d’abonnés sur Instagram et 1,2 millions de fans sur Facebook, Amir Tataloo bénéficie d’un poids solide au sein de la jeunesse connectée iranienne.