Le Choix d’Oleg est un documentaire réalisé par Elena Volochine et James Keogh dans l’est ukrainien en juin 2015. Les deux journalistes témoignent de la vie et des réflexions de plusieurs jeunes volontaires russes partis de battre dans le Donbass contre l’armée ukrainienne. Ce reportage à la fois très beau et très dur ne vise pas à montrer les aspects stratégiques de la guerre, mais ses visages humains. On peut cependant y observer quelques effets de la propagande russe sur une cible bien particulière: les volontaires eux-mêmes.
Une propagande a en général une série de cibles que l’observateur ne peut qu’étudier sous forme d’hypothèses, faute d’avoir accès à la pensée des opérateurs. Certains narratifs ont pour objectif d’alimenter les convictions des populations du Donbass, des miliciens qui y combattent et de la population russe dans son ensemble. Le récit officiel repose globalement sur la défense de populations russophones de cette région réclamant leur indépendance face au pouvoir dictatorial et criminel de Kiev.
Oleg et ses camarades laissent entendre dans ce documentaire qu’ils ont par le passé profondément cru à cette cause. C’est là le principal constat: alors qu’ils consomment encore massivement de la propagande allant dans ce sens (télévision via Internet, chants patriotiques), ils ne semblent plus y croire. Beaucoup d’entre eux montrent les signes de chocs post-traumatiques dus à la violence des combats auxquels ils ont participé. Faute d’alternative, ils n’envisagent pas pour autant de renoncer au combat. Mais ils n’hésitent pas à remettre en cause le discours officiel, ou encore à afficher leurs rancœurs envers une partie des populations du Donbass.
Cette dissonance n’est pas sans rappeler la situation connue par la France lors de la Première Guerre mondiale. La presse, mobilisée dans un effort de propagande intensif au service de la mobilisation générale, ne cessait alors de chanter les victoires grandioses des forces françaises. Les poilus, eux, voient bien la réalité de la boucherie et du bourbier dans les tranchées. Rapidement, entre perm’s et courriers aux proches, leurs récits se répandent et celui de l’Etat est discrédité. Les journalistes aussi, durablement.
Les vecteurs
A un moment du documentaire, Oleg reçoit sa famille à Donetsk. Il s’agit pour le volontaire de rassurer ses parents en montrant une situation qui n’est pas aussi dramatique qu’on peut le croire. Malgré tout, il semble assez vite témoigner des réalités du terrain. Aussi patriote que soit la maman, elle est partagée entre la fidélité nationale et le sentiment d’un gâchis familial. Cette démarche est probablement très marginale et ne devrait pas contribuer à un effet comparable à celui connu par les Français dans les années 1910, à moins que le témoignage de cette mère ne suscite beaucoup de relais. Le vecteur humain direct pouvant être démultiplié par les réseaux sociaux, il ne faut pas le négliger. En Russie, les mères de soldats restent l’un des contre-discours les plus difficilement gérés par le pouvoir.
Il est intéressant de relever la motivation de cette visite. Oleg explique que sa mère s’informe sur Internet, où l’on apprends alors que les combats ont redoublé dans le Donbass. Internet est en effet, en Russie, une vraie source d’information alternative permettant d’échapper au discours officiel tenu notamment sur les télévisions.
Oleg décrit lui-même la télévision publique comme un outil de propagande. Il l’affirme parce que son bataillon y participe, notamment en mettant à disposition un prisonnier ukrainien. L’exploitation des prisonniers dans la guerre de cette manière est interdite par les Conventions de Genève. On voit ainsi Rossiya 1 assurer que les insurgés du Donbass sont en position de légitime défense face à l’agresseur ukrainien, avec témoignage de ce prisonnier comme preuve. Cela motive-t-il aussi la volonté des Russes de bien traiter le prisonnier devant les caméras qui les filment? Impossible de dire s’il s’agit de cela ou simplement d’humanisme.
Le seul vecteur de propagande qui semble encore parfaitement fonctionner sur ces volontaires, ce sont les chants patriotiques. Ils ne sont d’ailleurs pas tous composés pour ce rôle au départ. Certains sont des réappropriations de morceaux réinterprétés à travers l’expérience guerrière. Particulièrement prisés dans les milieux combattants (chants militaires français ou anashids djihadistes par exemple), ces chants donnent du sens au combat des hommes. Ils sont d’autant plus efficaces qu’ils réaffirment la violence de la guerre et du quotidien, jusque dans ses pires aspects, tout en rappelant en permanence à quel point ces sacrifices sont importants pour les individus, les familles et surtout, la patrie. Les réciter et les fredonner en boucle comme autant de prières permets de faire remonter la motivation initiale de l’engagement: la conviction de servir une cause noble et juste au péril de sa propre individualité.
Parle moi, garde les yeux ouverts.
Frère, ne t’endors pas.
Morts nous ne servons à rien.
Mais au pire, il y a le paradis.