Dans un ouvrage consacré à « La Fabrique de l’autorité, figures de décideurs en régime médiatique« , Gaspard Gantzer, l’ancien conseiller communication de François Hollande ,propose son analyse sur la communication politique d’aujourd’hui et de demain. Cet énarque, socialiste de la première heure (la sienne, pas celle du PS!), a conseillé Bertrand Delanoë dont il fût le porte-parole à la mairie de Paris, Dominique Strauss-Kahn avant l’affaire du Sofitel, Martine Aubry, puis Laurent Fabius au quai d’Orsay. En avril 2014, il rejoint l’équipe de François Hollande.
A 37 ans, il fait partie de ces figures emblématiques dans l’ombre des présidents, qui proposent les ingrédients d’une communication contemporaine, à la manière d’un Jacques Séguela ou d’un Jacques Pilhan en leurs temps. Avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, Gaspard Gantzer rejoint finalement le privé en montant son propre cabinet de conseil, « 2017 ». Terminé le politique, il accompagnera désormais les entreprises face aux révolutions numériques.
Le numérique, justement, est au coeur du témoignage du communicant. Pour lui, les chaînes d’information en continu comme BFM sont déjà l’outil médiatique d’hier, de 2012. Aujourd’hui, l’information, la communication et la crise peuvent émerger de n’importe quel type de support: un site d’information, d’un grand média ou non, un réseau social, une phrase dans un livre, une alerte SMS…
Il explique: « Je ne regarde plus BFM, c’est déjà du passé. Le continu, aujourd’hui, ce sont les alertes. […] Ce qui va m’intéresser, c’est le traitement de l’information. Mais l’info m’arrive d’une façon différente, par le smartphone. L’autre chose qui a changé, c’est le live sur les réseaux sociaux. […] On peut faire beaucoup plus parler de soi avec une phrase dans un livre qu’avec un 20 heures. »
Parfaitement conscient des nouveaux usages de consommation de l’information, il illustre parfaitement ici comme les journalistes conventionnels peuvent devenir peu intéressants au regard d’un communicant. Un grand reporter d’un journal majeur peut devenir moins influent qu’un Youtubeur ou qu’un site d’information de nouvelle génération dédié à telle ou telle communauté (jeunesse, ethnie, milieu professionnel…). C’est aussi ce que nous dit l’entourage d’Emmanuel Macron en annonçant l’arrivée d’un média du parti, qui produirait ses propres contenus: il est tout à fait possible et envisageable de contourner le journaliste.
S’adresser directement au public est d’ailleurs, pour Gaspard Gantzer, le meilleur moyen de faire face à une enquête de journalistes trop hostiles. Alors que les grandes émissions télévisées d’investigation sont un cauchemar pour les communicants, qui estiment souvent qu’ils perdront quelle que soit leur démarche (transparence, réponse, non-réponse, ouverture, menace…), l’ancien conseiller de Hollande propose une réponse simple: « Le citoyen peut être conforté dans sa vision négative du pouvoir quand il voit une émission type Cash Investigation, mais il sait qu’il trouvera un blog, chez un expert, quelque chose de plus crédible. Ce qui va compter, c’est la crédibilité de l’émetteur- quelque soit son média d’ailleurs. C’est l’information que vous sortez qui compte, pas le média. »
Gaspard Gantzer avait mis en oeuvre cette logique en déployant au ministère des Affaires étrangères un outil nouveau: des blogs animés par les diplomates. Sur le ton de la confidence, des fonctionnaires s’y expriment sur une multitude de sujets, sans le moindre filtre journalistique. Cet outil de communication institutionnelle crée un lien direct entre le diplomate et le public, sans que l’on ne puisse y voir la patte du communicant. C’est la même logique que l’on retrouve derrière la multitude de réseaux sociaux désormais animés par les grandes institutions d’Etat. Ce n’est d’ailleurs pas réservé au politique: l’AFP explique elle aussi son métier au public à travers ce type de plateforme.
Faut-il y voir une volonté de manipulation? Difficile de trancher. Le communicant assure que c’est une volonté de transparence qui animait le président Hollande et son équipe. Une contrainte fixée de toutes les manières par l’esprit même de la démocratie, mais que le public peine à accepter comme respectée. Il cite à titre d’exemple l’ouvrage « Un président ne devrait pas dire ça… » Bien que réalisé sans l’intervention des équipes et des conseils du chef de l’Etat, ce livre n’a pas été commenté pour ce qu’il contenait dans l’ensemble mais pour une multitude de petites phrases assassines devenues objets de conflits médiatico-politiques aux enjeux mineurs.
Face à ces constats, on ne peut que comprendre l’intérêt pour un acteur de pouvoir de chercher à échapper aux journalistes traditionnels pour communiquer directement avec le public. Une logique qui ne peut que nourrir les hostilités respectives, de part et d’autre.