En 2013, les leçons de l’opération militaire de l’OTAN au Kosovo et en Serbie sont plus que jamais d’actualité. En effet, les stratèges de l’administration Obama – et certainement d’autres – étudient ce conflit pour voir s’ils peuvent s’en inspirer pour une offensive en Syrie. Et si les journalistes faisaient pareil ?
Blackout sur le terrain et bidouillages de la com’
Avant le déclenchement de l’offensive aérienne de l’OTAN, le Kosovo est loin d’être une préoccupation en Occident, pour les médias comme pour les autres. Le début des opérations le 24 mars 1999 pose donc un problème majeur : rares sont les journalistes à bien maîtriser le sujet et ses enjeux. L’hostilité des serbes, d’abord morale puis physique, contre les populations albanophones de cette région ne sont pas une évidence pour tous. Plusieurs approximations, notamment dans les premiers temps de cette guerre, conduiront à voir les médias être accusés de «propagande» ou de «manipulations». Il faudra plus simplement y voir des erreurs humaines, bagage inévitable de la couverture particulièrement complexe de ce genre de crises.
Sur le terrain, les journalistes occidentaux sont immédiatement chassés. Slobodan Milosevic fait expulser la quasi-totalité de la presse étrangère. Le 25 mars, la loi sur la défense de la République de Serbie proclame qu’il faut «expulser les journalistes des médias étrangers venant de pays qui ont participé ou dont le territoire a été utilisé dans l’agression des forces de l’OTAN». Le régime nie ainsi l’accès au terrain à des médias qui vont pourtant rapporter les souffrances des populations serbes prises dans les bombardements, à Belgrade et dans le sud de la Serbie. Les correspondants vont eux devoir se contenter de couvrir la guerre depuis les pays limitrophes, Macédoine, Monténégro ou Albanie, n’ayant dès lors plus comme sources que les flots de réfugiés.
La presse nationale serbe et kosovarde est-elle totalement muselée. Depuis 1998, Slobodan Milosevic s’est appliqué à mettre sous contrôle la quasi-totalité des journaux et médias audiovisuels. Ceux qui refusent de participer à l’exercice de propagande se voient contraints de démissionner. Pendant la guerre, le régime organise des voyages de presse sans queue ni tête, notamment pour aller constater le crash d’un F-117 américain dans des conditions obscures. Les médias abreuvent la population serbe d’images des victimes collatérales des bombardements de l’OTAN.
L’OTAN, enfin, loupe totalement son action de communication. Elle cherche à s’assurer un contrôle exclusif de l’information et multiplie les gaffes. Des rumeurs sont annoncées comme des informations vérifiées. Les données sur les bombardements, notamment ceux qui toucheront des civils, mettent un temps improbable à être diffusées. Ces données sont parfois mêmes fondamentalement fausses : exemple le 19 avril où l’enregistrement d’un pilote est publié après des tirs sur des convois civils le 14 avril précédent… enregistrement dont la presse découvrira qu’il n’a rien à voir avec les faits. La communication de l’Alliance n’aura réussit, au cours de ce conflit, qu’à passer pour une source particulièrement peu fiable.
Pour résumer donc : les journalistes ont du, au cours de ces quelque soixante-dix jours de bombardements, raconter un conflit qu’ils ne pouvaient pas voir. Exclus du terrain, ils sont souvent contraints de rester aux frontières. Comme sources, ils doivent se contenter des flux de réfugiés, d’un régime serbe muet et d’une Alliance atlantique dont les informations sont dénuées de toute fiabilité. Les Serbes, eux, seront inondés d’une propagande qui sera leur seule source d’information. Une version de l’histoire dont certains effets sont encore visibles aujourd’hui : il suffit de visiter le musée des armes de Belgrade pour voir que le récit de cette période est encore emprunt de nombreux éléments de la propagande de Milosevic.
L’importance du contexte
Au delà des réalités du terrain, le contexte joue également un rôle dans la manière dont est couverte cette offensive militaire. Les journalistes n’ont à ce moment qu’une piètre confiance envers la communication des armées. Si en France, l’armée est traditionnellement surnommée la «Grande muette», l’OTAN est en plus marquée par la Guerre du Golfe où elle a tentée de museler la presse. La parole officielle de ces institutions souffre d’une très mauvaise réputation, aussi bien dans les médias que dans l’opinion publique.
Les journalistes sont par ailleurs tentés de croire toutes les dénonciations côté albanais. Ils ont en effet déjà loupé deux génocides : celui du Rwanda en 1994 et celui de Srebrenica (déjà le fait des forces Serbes et de Milosevic) en 1995. L’utilisation souvent abusive de ce terme par des responsables politiques et militaires pour qualifier l’épuration ethnique en cours a donc facilement tendance à être reprise par les journaux. Le reproche est souvent fait, d’ailleurs, et marquera durablement les pratiques médiatiques par la suite. De peur de parler trop facilement de génocides, les journalistes ont à présent tendance à n’utiliser ce mot qu’entre guillemets, le cantonnant ainsi à la bouche de tel ou tel responsable politique ou humanitaire.
Des leçons pour la Syrie ?
Un certain nombre de ces réalités sont applicables à la Syrie, en cas d’intervention aérienne dans ce pays. Du fait des violences des deux groupes participant actuellement aux hostilités (gouvernement et rébellion), les journalistes sont à peine une poignée à accéder au terrain à l’heure actuelle. Pour les autres, rares sont ceux qui maîtrisent les enjeux de ce conflit, dans son déroulement actuel et dans les dimensions qu’il pourrait prendre en cas d’intervention étrangère. Sur place, aucun média national ne peut se targuer d’offrir une information neutre. Le gouvernement a mis tout l’audiovisuel sous coupe de la propagande. Les rebelles eux-mêmes ont développé une vraie tendance à diffuser des contenus et des discours parfois dénués de toute objectivité.
Restent deux évolutions majeures dans le contexte :
– Les institutions militaires occidentales ont fait de gros efforts dans le domaine des relations publiques. Le difficile tournant des années 1990 a donné lieu à une communication qui se décomplexe progressivement, malgré de terribles accrocs comme l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Dans les grandes lignes, l’OTAN, l’armée américaine ou l’armée française représentent plus facilement des sources fiables. Ces organisations évitent en tout cas de plus en plus de diffuser de fausses informations, craignant le retour de bâton en cas de découverte du pot-aux-roses.
– Internet a littéralement transformé l’accès aux sources. Si les journalistes ont des difficultés massives à accéder au terrain syrien, les agences ont développé d’impressionnants réseaux de sources à travers le pays. Elles parviennent ainsi à vérifier informations et images dans des délais raisonnables avec une fiabilité acceptable. Ces moyens n’existaient pas, à l’époque du Kosovo, dans les proportions que l’on connaît aujourd’hui.
A lire, au sujet de la couverture médiatique de la guerre du Kosovo : cet article de Renaud La Brosse, maître de conférences en sciences politiques, de juin 2000.