Dans un sondage commandé à l’IFOP par le journal La Croix et l’association Mouvement de la paix, les sondés se montrent majoritairement hostiles à la dissuasion. Une comparaison avec 2012 montre pourtant que cette position… Évolue en faveur des pro-nucléaires.
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Le sondage porte sur plusieurs questions en lien avec la dissuasion, auxquelles ont répondu un échantillon représentatif de 1001 personnes (c’est relativement peu). En voici les principaux résultats:
- 67% des sondés veulent que la France s’engage dans la ratification du traité sur l’interdiction des armes nucléaires
Ce traité, porté par le rassemblement d’ONG de la Campagne international pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN, Prix Nobel de la paix 2017) et adopté par l’ONU en juillet 2017, vise à l’interdiction systématique des armes nucléaires. Il a été signé par 59 pays mais n’est pas appliqué, seulement 10 d’entre eux l’ayant ratifié. La France, comme l’ensemble des puissances nucléaires, n’est pas engagée dans ce processus. Les principaux concernés préfèrent continuer de se référer au Traité de non prolifération nucléaire (TNP), considéré comme plus réaliste, qui prend notamment en compte la problématique du désarmement synchronisé entre adversaires potentiels.
Les anti-nucléaires sont en réalité 44% dans ce sondage, contre 21% de pro-nucléaires, les autres étant plus mesurés. Ces questions sont ici posées de manière à être mises en perspective avec le positionnement des Français sur la défense en général: seulement 18% des sondés réclament ainsi une baisse du budget des Armées, contre 45% en 2000.
- 44% des sondés sont favorables à la modernisation des armements nucléaires
Ce processus coûteux est nécessaire à la crédibilité de la dissuasion nucléaire. Chaque pays modernisant son armement, les anciennes générations de sous-marins, d’avions ou de missiles peuvent au fil des années se voir moins performants face à la défense adverse. Sans modernisation, plus de dissuasion. Un décalage de 20 points avec la question précédente interroge sur la compréhension du public sur ce lien.
- 70% des sondés réclament que la France participe à des opérations de maintien de la paix à l’étranger avec l’ONU
Ce chiffre ne précise pas sous quelle forme. S’agit-il ici exclusivement d’opérations de casques bleus ou de tout dispositif coordonné avec les Nations unies? L’opération Barkhane au Sahel, par exemple, entre-t-elle dans ce champs?
- 39% des sondés s’opposent à l’exportation d’armes et de technologies militaires
Un résultat assez net alors que le rapport sur les exportations d’armes de la France au Parlement vient d’être publié.
Quel message ?
Lorsque quelqu’un commande un sondage, il vise généralement à extraire une donnée factuelle qui puisse servir son argumentaire. Ici, il s’agit de montrer que même s’ils sont favorables à l’armée et à la défense, les Français seraient hostiles à l’arme nucléaire. C’est d’ailleurs ce que relève le Mouvement de la paix dans les pages de La Croix:
Il ressort de manière éclatante qu’une majorité de Français souhaite que la France s’engage dans le traité des armes nucléaires actuellement en voie de ratification par les pays.
Les résultats rapportés aux orientations politiques des sondés semblent de plus donner quelques tendances : les partisans de la dissuasion nucléaire penchent vers François Fillon, tandis que les plus hostiles suivent Jean-Luc Mélenchon.
Une conclusion… discutable
La conclusion du Mouvement de la paix semble cependant… Assez discutable. En effet, en regardant d’un peu plus près leur sondage, nous pourrons relever que si 67% des sondés se disent favorables à l’adhésion au Traité d’interdiction… Ils étaient 81% en 2012. Soit une baisse de 14 points sur cette question. De même, s’ils ne sont « que » 44% à réclamer une modernisation de l’arsenal… Ils étaient encore moins nombreux en 2012: 36%.
Ce sondage permet donc en réalité de conclure plusieurs choses: les Français sont hostiles à l’exportation d’armement (plus en 2018 qu’en 2012) ; ils sont favorables aux opérations de maintien de la paix (plus en 2018 qu’en 2012) ; ils sont beaucoup plus favorables aux dépenses militaires aujourd’hui qu’en 2012, avec 43% qui réclament une réduction contre 73 il y a six ans.
Mais s’il montre bien qu’une majorité de Français est hostile à la dissuasion nucléaire, il montre aussi que ces tendances sont en baisse depuis 2012. Une bonne nouvelle pour les pro-nucléaires qui pourront utiliser le même sondage pour assurer que l’opinion publique leur est de plus en plus favorable !
Les commanditaires de ce sondage pourraient d’ailleurs s’interroger et pondérer leur position. Le résultat, s’il leur reste favorable, semble montrer que leurs discours convainquent moins aujourd’hui qu’il y a six ans. Quelles leçons en tirer, alors qu’entre temps, ICAN a gagné un Prix Nobel de la Paix?
Il est enfin toujours délicat de se reposer sur de tels sondages, qui ne nous disent pas quel niveau de connaissance ont les sondés des questions qui leurs sont posées. La dissuasion nucléaire est en effet un sujet de stratégique particulièrement complexe qui suscite d’intenses débats au sein des armées, des milieux universitaires et politiques. Quelle est la capacité des spécialistes à sensibiliser sur ces sujets complexes ? Le public comprend-il l’intérêt de moderniser des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ou les missiles stratégiques ?
Exemple qui semble montrer que le public sondé ne maîtrise pas la question posée : l’électorat le plus défavorable à la dissuasion nucléaire vote Jean-Luc Mélenchon. 70% des sympathisants du chef de la France insoumise sont ainsi anti-arme-nucléaire… Alors que, même s’il s’engageait à renouveler d’efforts en faveur du désarmement, ce candidat à la présidentielle réaffirmait dans son programme qu’il fallait maintenir cette arme:
La dissuasion nucléaire restera un élément de notre protection en l’absence d’accord de désarmement multilatéral.
Il reste regrettable d’utiliser des sondages d’opinion de manière aussi manipulatrice, en ne relativisant pas ses propres résultats. Cela ne fait que biaiser le débat puisque chaque parti pourra conclure ce qui l’arrange :
- Les Français sont hostiles à la dissuasion nucléaire
- Les Français sont de plus en plus favorables à la dissuasion nucléaire
Le public n’en est pas mieux armé pour décider en connaissance de cause de la position à adopter sur ce sujet.
L’action reste, pour le Mouvement pour la paix, d’une efficacité redoutable. De nombreux médias ont en effet déjà repris tel quel leurs affirmations, sans creuser plus loin. Rares seront donc ceux à se poser la question qui nous semble ici être la bonne: pourquoi les Français sont-ils de moins en moins défavorables à la dissuasion nucléaire ?