« Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre. » – Sun Tzu
S’il est bien un auteur de stratégie que je répugne à citer, c’est bien Sun Tzu. Ceux qui assistèrent à la conférence « Information-Désinformation » de la Revue de la Défense Nationale se souviennent peut-être de mon rejet de cette lecture comme référence universelle. Pourtant, cette fois, je trouve dans les mots de notre lointain penseur chinois l’illustration parfaite d’un raisonnement intéressant sur la position de Barack Obama à propos d’une intervention militaire en Syrie. Cette réflexion m’a été inspirée par l’éditorial de Serge Halimi, directeur de la publication du Monde diplomatique, dans le numéro de ce mois-ci.
Le journaliste y avance l’idée que la principale motivation de Washington à employer les armes contre le régime de Bachar el-Assad était de préserver sa « crédibilité ». Une « crédibilité » qui a coûté par le passé des dizaines de milliers de vies lors de grandes guerres menées par l’Amérique. Vietnam, Irak et même Afghanistan, les Etats-Unis ont cherché chaque fois à préserver leur « crédibilité », face aux communistes, puis face aux jihadistes. Autant de défaites militaires qui se sont terminés par une retraite plus ou moins organisée en laissant derrière soi le chaos à son paroxysme.
« Je ne suis pas contre toutes les guerres, mais je m’oppose à une guerre stupide« , annonçait en octobre 2002 un Barack Obama alors sénateur, au sujet de l’Irak. Qu’est-ce qu’une guerre stupide? Au sujet de la Syrie, la plupart des analystes se sont toujours montrés très sceptiques sur la stratégie à employer. Des frappes limitées n’auraient pas suffisamment réduit le pouvoir de Bachar el-Assad. Une élimination pure et simple de celui-ci et de son entourage nuirait durablement aux relations entre les puissances internationales. Personne ne sait vraiment qui proposer, d’ailleurs, pour prendre la relève du tyran.
Crédibilité
Pourtant, Barack Obama pouvait difficilement ignorer l’attaque chimique qui a tué plusieurs centaines de personnes fin août. Après avoir fixé ce type de dérives comme la « ligne rouge » à ne pas franchir, après avoir esquivé la question à plusieurs reprises alors que des preuves d’utilisations d’armes chimiques arrivaient au compte-gouttes dans les capitales occidentales, le président américain devait préserver la « crédibilité » de l’Amérique: brandir le poing pour rappeler à l’ordre un Bachar se croyant tout permis.
Le chef de l’Etat était-il pour autant si convaincu par l’idée d’une telle intervention? De nombreux responsables militaires se sont exprimés dans les médias pour dénoncer l’absurdité d’une telle approche, craignant un fiasco anticipé. Les politologues se sont interrogés sur les conséquences d’un vote devant le Congrès dans des conditions jamais vues. L’opinion publique elle-même se montrait tout particulièrement hostile à un tel projet. Mais quel autre choix pour préserver la « crédibilité » des avertissements proférés par Monsieur le Président?
La proposition de Moscou, de démanteler l’arsenal chimique de Damas en lieu et place d’une intervention, a été perçue par certains comme un camouflet diplomatique pour Washington. Cette solution pourrait pourtant arranger les deux grands de cette crise. Si les Etats-Unis devaient élever la voix pour prouver leur statut de grande puissance, défenseur des peuples opprimés, la Russie devait de son côté démontrer qu’elle était capable de se dresser face à l’ingérence occidentale. Chacun est quitte pour voir sa « crédibilité » sauvée. Voir même renforcée: Washington n’est plus une puissance interventionniste qui se précipite dans des croisades aléatoires et Moscou bénéficie d’un vrai crédit diplomatique à l’échelle mondiale.
Les dindons de la farce
Mais si Moscou et Washington s’en sortent bien, d’autres n’ont pas pu préserver leur « crédibilité ». David Cameron aura échappé à une longue campagne médiatique pour vendre une guerre aux Britanniques, au prix d’un terrible camouflet parlementaire: son image en est d’autant écornée en matière de politique intérieure. Paris, par contre, s’est levée de toute sa hauteur pour soutenir la démarche américaine face à Damas et défendre le projet d’une intervention militaire. Et là, la « crédibilité » de la France en prend un coup. Sur le plan diplomatique, elle passe pour être un acteur secondaire, écarté du dialogue bipartite entre les Etats-Unis et la Russie. Sur le plan politique, le gouvernement aura dépensé beaucoup d’énergie pour convaincre une opinion particulièrement sceptique… pour rien. Pire, le président Hollande et son équipe se retrouvent en chiens de faïences à ne plus pouvoir faire grand chose: renier l’intervention, c’est se dédire ; la défendre, c’est absurde sans l’appui des Américains. Alors faute de mieux, on ne peut que se ranger derrière la majorité et attendre que les choses se fassent. Sans nous.
Mais les vrais dindons de la farce, dans cet énième volet d’une guerre particulièrement cruelle, ce sont les Syriens. Après avoir été ignorés pendant deux ans par les Occidentaux, la bouffée d’espoir que pouvait représenter la menace américaine contre Damas s’est envolée en fumée. Pendant ce temps, les obus continuent de pleuvoir sur une rébellion exsangue et une population coupable par principe. En attendant que l’on range les gaz de Bachar, ils n’ont guère de choix: continuer de combattre avec les moyens du bord, fuir… ou mourir. Du pain béni pour les jihadistes qui opèrent dans le pays: eux, ont entendu les cris de désespoirs d’un peuple à l’agonie.
Pour Barack Obama, prix Nobel de la paix, cette guerre coûte certainement moins que d’autres en termes de « crédibilité ». Il n’y aura pas d’images de boys démembrés, d’écoles bombardées par des Predators maladroits ni de colonnes de blindées fuyant un pays en flammes. C’est finalement peut-être un plus grand succès que ce qui se fit au Vietnam ou en Irak… Reste à savoir, de la retraite stratégique -défaite- à l’afghane à l’absence de victoire à la syrienne, ce qui a le goût le plus amer.