Article initialement publié sur RFI.
«Si votre photo n’est pas assez bonne, c’est que vous n’êtes pas assez près.» Cette citation du photographe Robert Capa marque depuis toujours l’idéal défendu par les reporters qui se relaient chaque année au Prix Bayeux des correspondants de guerre.
Cette vingtième édition est marquée par l’opacité qui gagne toute une série de conflits, de la Syrie au Yémen en passant par le très large spectre des combats que se livrent groupes terroristes et services de renseignement occidentaux. Autant de zones d’ombre où il reste particulièrement difficile de se rendre suffisamment près pour témoigner.
«Il y a toujours eu des zones plus difficiles à couvrir, constate Mort Rosenblum, ancien reporter de l’agence Associated Press et professeur de journalisme. Globalement, c’est tout de même plus compliqué aujourd’hui même si chaque situation, chaque conflit, est différent : les journalistes sont devenus des cibles qui se négocient et se vendent.»
Même constat pour Jean-Paul Mari, grand reporter au Nouvel observateur: «Ce qui est nouveau, c’est qu’on nous enlève pour ce que nous sommes». Le risque de blessure, de mort même, fait partie du fardeau qu’assument ceux qui couvrent les zones de guerre. Depuis quelques années, ils font de plus l’objet de ce nouveau type de prédations. «Un terrible sentiment s’installe, poursuit Jean-Paul Mari. Le journaliste est presque devenu coupable de son propre enlèvement. Le gouvernement fait pression sur les rédactions». Tout cela donne naissance à des trous noirs dans l’information: la Syrie aujourd’hui, comme l’Algérie, l’Irak ou encore certaines parties de l’Afghanistan, hier.
Faire confiance à des journalistes locaux
Lorsque les journalistes occidentaux, synonymes de potentielles rançons, deviennent des cibles, il faut trouver des subterfuges. Plusieurs médias comptent désormais sur des journalistes nationaux, originaires des endroits les plus difficiles d’accès. Zones tribales au Pakistan, régions reculées du Yémen ou encore au coeur des combats en Syrie, ces reporters, parfois débutants, deviennent le relais de l’information et rapportent images, faits et vidéos des événements.
«La tendance avait commencé avec le conflit palestinien, mais c’est en Syrie qu’elle prend toute son ampleur», explique Patrick Baz, chef du service photo de l’Agence France Presse pour la région Moyen-Orient. L’un de ces jeunes Syriens qu’il a lui-même formé, devenu reporter par la force des choses, a été tué récemment: «S’en remettre à des professionnels locaux comme Abou Chouja est indispensable pour avoir, quotidiennement, des images de l’horreur qui frappe ce pays.»
Certains hésitent face à cette nouvelle approche, craignant qu’elle ne réponde à une recherche de rentabilité de la part des rédactions. Pire, ils s’inquiètent de la neutralité de ces journalistes nés des guerres qu’ils doivent couvrir. «Nous passons des années à comprendre le métier, remarque Jean-Paul Mari. La neutralité, ce qu’est une preuve. Lorsque l’on forme des journalistes qui sont dans un camp, qui ont un point de vue, cela ne peut faire que des militants.»
«Tout ce qui est nouveau fait peur, défend de son côté Patrick Baz. Partout, le quotidien est couvert par des locaux. Le meilleur pour couvrir l’actualité, reste celui qui en est le plus proche dans sa tête : il faut une culture politique et géopolitique. Je ne crois pas du tout à l’objectivité : la neutralité, elle, se travaille au moment de l’édition.»
Raconter les guerres invisibles
Au-delà des conflits qui deviennent particulièrement dangereux, il y a aussi ceux qui sont tout simplement invisibles. Comment raconter les combats qui opposent certains groupes terroristes aux agences de renseignement dont les missions restent secrètes par nature? Des deux côtés, les tentatives de manipulation sont évidentes.
Il en va ainsi des campagnes de tirs de drones de l’armée américaine et de la CIA. Les déclarations officielles se succèdent, annonçant l’élimination de suspects, au Yémen, en Somalie, en Afghanistan, au Pakistan. Jean-Baptiste Renaud et Benoît Bringer ont enquêté sur le sujet, découvrant, comme d’autres médias que, parmi les morts, on trouve aussi de plus en plus de civils. Là aussi, il faut essayer de se reposer sur un tissu local de témoins, de journalistes, de militants… «Il est très dangereux d’aller enquêter sur les conséquences d’un tir», remarquent les deux reporters.
En face, le jeu de la communication est aussi parfaitement maîtrisé. «50% du jihad est médiatique», se plait à dire Ayman al-Zawahiri, le leader d’al-Qaïda. L’organisation terroriste a vite gagné en autonomie: en comprenant que ses propos ne seraient jamais retranscrits intégralement par les médias, elle a tout simplement développé les siens, profitant de la liberté offerte par Internet.
Des stratégies qui obligent les journalistes à revenir aux fondamentaux : recouper, vérifier, suivre sur le long terme pour comprendre ce que font exactement les différents belligérants de ce conflit. «La question se posait déjà pour la guerre clandestine que se livraient les Soviétiques et les Américains, ou encore dans les exécutions qui marquent les opérations secrètes livrées par Israël contre l’Iran, remarque le grand reporter du Figaro, Adrien Jeaulmes. Il y a toujours un moyen de trouver. Très peu d’éléments sont réellement cachés.»