Les correspondants de la Maison blanche ne sont pas contents. Il y a une dizaine de jours, les reporters de l’Association des correspondants de la Maison blanche (WHCA) ont publié une lettre réclamant plus de transparence de la part de la présidence américaine. Ces journalistes, qui couvrent au quotidien les activités de Barack Obama et de ses équipes, ont publié une multitude de tribunes dans leurs journaux respectifs pour dénoncer l’action de l’administration. Pour eux, cette dernière impose une main-mise trop systématique sur des événements qui échappent ainsi à une couverture éthique, au service du public.
Une importante partie de l’image de Barack Obama découle en effet d’outils parfaitement contrôlés par le pouvoir. Nous en évoquerons deux ici: les réseaux sociaux… et le photographe Pete Souza. Alors que le président américain bénéficie d’une image de transparence, de disponibilité, il serait, selon les journalistes de la WHCA, beaucoup plus difficile d’accès que ne l’était par exemple son prédécesseur.
Une stratégie de communication que les journalistes n’hésitent pas à comparer aux pires heures de l’Union soviétique. Le danger d’une telle domination de l’agenda par l’administration, au détriment de la presse, est de voir émerger une image fausse du personnage politique. Une image qui a des conséquences sur le vote des électeurs, sur les relations des autres acteurs de la société avec le président… et qui devient d’autant plus difficile à contester qu’elle est forte.
Dans l’exemple ci-dessus, nous avons deux photographies réalisées lors de la rencontre entre le Dalaï Lama et Barack Obama en 2010. La première est réalisée par le staff de la Maison Blanche. On y voit le leader tibétain en figure sage, partageant sa connaissance avec le président américain, ouvert et attentif. Une image qui, à l’époque, a été largement reprise, surfant sur la symbolique populaire du chef spirituel. La seconde est réalisée par un photographe de l’AFP qui, faute d’avoir eu accès à la rencontre, a du se contenter d’un cliché réalise à la sortie du Dalaï Lama. Elle raconte notamment comment ce dernier a du quitter la Maison Blanche par une sortie dérobée, peu prestigieuse. La différence? La première est un objet de communication, au service du pouvoir.
Pete Souza, le photographe…
Pete Souza, c’est le directeur du service photo de la Maison blanche. Il en est d’ailleurs le principal artisan. Cet ancien photo-reporter indépendant d’une soixantaine d’années a réalisé des reportages en Afghanistan peu de temps après le 11 septembre, sur les forces militaires américaines à l’entraînement, sur des pays lointains et exotiques ou encore sur des sujets liés au sport. Il est surtout devenu en 2009 celui qui suit Barack Obama partout et en immortalise la présidence. Une relation purement professionnelle avec le chef d’Etat, au service, dit le photographe, de l’Histoire.
Pete Souza semble avoir un accès quasi-illimité au président. Il réalise des clichés de son intimité d’homme de pouvoir d’une qualité technique impeccable. Son travail est décrit par d’autres journalistes comme particulièrement précis dans sa composition. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard: Pete Souza a de l’expérience puisqu’il avait déjà été, de 1983 à 1989, le photographe du président Ronald Reagan.
Le président de Pete Souza est un chef d’Etat profondément humain. Proche des gens, il est le président « normal » qui a le contact facile avec les Américains. Il aime les enfants, sa femme, son chien et tous les petits plaisirs des Américains, comme le sport ou les hamburgers. Le photographe est souvent placé juste derrière Barack Obama, pour partager sa vision de ce qui l’entoure. On le voit toujours souriant ou sérieux. Jamais en colère. Est-ce là le vrai caractère du Barack Obama? Peut-être. Peut-être pas. Toujours est-il que ces clichés lui assurent de ne jamais paraître abattu ou en difficulté.
Il suffit d’étudier le cliché ci-dessus, réalisé le lendemain de la publication de la lettre ouverte de la WHCA. On y voit Barack Obama à disposition des journalistes… alors que l’exercice sera décrit par les journalistes comme une rebuffade.
… et les réseaux sociaux
Que la Maison blanche contrôle sa communication, les journalistes l’admettent. Ils comprennent parfaitement les jeux de pouvoirs et leurs enjeux. Ce qui les dérange, c’est le décalage entre la transparence revendiquée par les autorités et la réalité du terrain. Ils s’inquiètent surtout de voir la présence croissante des images officielles sur les réseaux sociaux. Pete Souza compte à lui seul près de 100 000 followers sur Twitter, qui relaient spontanément ses photos.
Ces images sont de moins en moins contestées. Les filtres journalistiques se réduisent. Les médias perdent ainsi leur capacité à assurer leur rôle de contre-pouvoir. Un avantage stratégique pour la Maison blanche qui n’hésite pas à appuyer son avantage en multipliant le nombre de communicants consacrés aux réseaux sociaux, quitte à moins investir dans les relations avec la presse.
Difficile, dans ce contexte, de contredire l’image du président « cool ». Les journalistes, eux, n’ont plus que leurs tribunes pour pleurer, impuissants face à la puissance de frappe de la machine de communication.