Certains observateurs l’auront remarqué, la communication politique de la France, lors des deux derniers conflits dans lesquels elle est intervenue, est particulièrement optimiste en termes de délais. Lors du déploiement de Serval, au Mali, le président et ses ministres s’étaient rapidement engagés dans des promesses calendaires questionnables. Dès le premier mois des opérations, en février dernier, Jean-Yves Le Drian annonçait de premiers départs pour mars. Mars venu, François Hollande parle à son tour d’avril, assurant des effectifs de 2000 hommes à la fin de l’été, 1000 à la fin de l’année. Les premiers Français rentreront finalement début avril, d’abord très symboliquement, puis de plus en plus rapidement. A l’été, ces départs seront revus à la baisse au vu du bilan sécuritaire insatisfaisant dans le pays.
Va-t-on assister au même phénomène en République centrafricaine? Le temps nous le dira. Tout début décembre, le ministre de la Défense annonçait déjà une opération «coup de poing» qui doit ne durer que six mois. Six mois pour ramener le calme dans un pays ravagé, en proie aux rancunes des différents belligérants, sans vraie piste d’un plan pour le relever. Mais il semble crucial pour les responsables politiques de promettre très tôt l’image rassurante de nos soldats retrouvant leurs familles. C’est aussi cela, la communication: de l’amour…
Alliance: du dilemme entre peur de l’abandon et peur de l’enlisement
Ce discours est très certainement le pendant d’un dilemme étudié par des chercheurs en relations internationales dans la construction des alliances. Dans tous les conflits modernes, les acteurs soignent leurs alliances: la Minusma, le Tchad, les Européens, les forces armées maliennes dans le cadre de Serval ; la Misca ou les Nations unies dans celui de Sangaris. Ces alliés sont des partenaires indispensables dans la justification politique de l’action militaire et dans son organisation opérationnelle.
Or le discours adressé aux uns ou aux autres peut contredire d’autres priorités politiques. Ainsi, dans le cadre du Mali comme de la RCA, François Hollande doit rassurer le peuple français en promettant une mission courte. Dans le même temps, il faut rassurer les alliés en leur montrant qu’on ne va pas les abandonner du jour au lendemain. C’est ce que Jack Lewis Snyder décrit comme un dilemme entre la peur de l’abandon et la peur de l’enlisement. Il n’hésite ainsi pas à dire que sur le long terme, le responsable politique doit «moins prêter attention aux intérêts particuliers et aux conflits avec l’adversaire en eux-mêmes, et plus à la manipulation des engagements apparents dans une alliance pour compenser les dépendances entre les alliés eux-mêmes». Pour Snyder, l’importance de ce dilemme dépend de trois facteurs: les intérêts respectifs, la dépendance, l’engagement.
Ainsi, dans le cadre de la RCA ou du Mali, la France est peu dépendante de ses alliés locaux, sur le plan opérationnel. Elle peut facilement annoncer un départ imminent afin d’éviter la peur de l’enlisement dans l’opinion publique. Une opinion publique que l’on pourrait considérer comme un allié à convaincre. De l’autre côté, les Maliens ou les Centrafricains devront se contenter de discours rassurants en aparté de la scène médiatique majoritaire. Dans tous les cas, ces derniers ne sont justement pas suffisamment puissants pour imposer un «engagement» plus important.
Snyder développe la logique de la négociation par la communication: «La principale fonction de la négociation par la communication est de modifier les perceptions des autres sur le comportement de l’un afin de valoriser la capacité d’argumentation de l’un.»
Un discours, deux interprétations
Le discours qui consiste à assurer un retour imminent des troupes françaises est souvent perçu comme étant destiné à l’opinion publique nationale. Il s’agit effectivement d’éviter une trop grande peur de l’enlisement chez «l’allié opinion». Pourtant, selon cette logique de la négociation par la communication, une autre grille de lecture s’offre à nous: ce discours peut-être destiné à nos alliés locaux.
Par ce type de communications, les responsables politiques français renforcent la peur de l’abandon chez leurs partenaires. De cette manière, Paris profite de sa faible dépendance pour augmenter sa puissance décisionnaire, son influence. A l’inverse, Maliens et Centrafricains sont très dépendants. Eux se retrouvent particulièrement exposés à la peur de l’abandon et doivent consentir des sacrifices et une moins grande capacité à influencer les acteurs impliqués.
«Les grandes puissances utilisent la communication stratégique pour établir et maintenir leur influence dans un système international qu’ils essaient de façonner», explique encore Snyder. Dans ce cadre, la France semble avoir réussit à se montrer efficace en (re)devenant (?) un acteur incontournable dans toute l’Afrique saharo-sahélienne.