Le Daily Telegraph révèle une intéressante idée du Parlement européen (PE) début février: financer une équipe de chasseurs de « trolls » pour défendre l’image de l’Europe et décourager les Euro-sceptiques sur Internet. Le quotidien britannique dénonce un projet de propagande inédit qui coûterait 2,5 millions d’euros. Dans les documents visionnés par les journalistes, l’initiative semble ne pas être encore tout à fait validée. Si elle se mettait en place, elle débuterait à la fin du mois de février. Le PE répond à l’article avec beaucoup d’ironie, d’ailleurs.
Pour les moins geek, le « troll » est un surnom donné aux Internautes les plus provocateurs sur les forums et autres réseaux de communication sur la toile. Le troll va avoir tendance à lâcher une grosse réflexion, généralement peu argumentée, mais qui fera réagir. Pour peu qu’ils soient actifs, ces Internautes ont souvent une grande influence sur les médias qu’ils fréquentent: commentaires de sites d’information, forums de discussion, réseaux sociaux. L’exagération et la comparaison abusive sont en effet des techniques de manipulation particulièrement efficaces (voir l’ouvrage de P. Breton Argumenter sans manipuler).
L’équipe de communicants aurait donc pour objectif de chasser les Internautes trop agressifs envers l’UE tout au long de la période électorale (jusque juin). Une vingtaine de spécialistes des relations publiques qui aurait pour but de déconstruire les mythes, fournir des faits et des graphiques. Les cibles sont les pays où a été repéré un « surge » de la part des europsceptiques.
Manipulation ou contre-manipulation?
De manière assez paradoxale, le troll n’est pas dans le même camp dans le Telegraph et chez les médias qui le reprennent en France. Dans l’article original du correspondant de Bruxelles du journal britannique, le terme « troll patrol » induit que les communicants du PE seront chargés de chasser les trolleurs. 20 Minutes, qui reprend l’info, n’hésite pas à transformer les spécialistes des relations publiques en trolleurs fonctionnaires chargés de provoquer les autres Internautes. On peut difficilement reprocher aux journalistes du quotidien gratuit leur erreur, ils ont repris l’information sur le très sérieux site d’information amateur Agoravox… Mais bon, tout le monde peut commettre une petite erreur… Cela arrange d’ailleurs toute une panoplie de sites particulièrement pertinents comme celui du parti d’Alain Soral ou encore la très objective Russia Today.
Bref, passons cette bévue de nos confrères. Le Daily Telegraph utilise une formule intéressante: « unprecedented propaganda blitz« . Pour le journal britannique, il s’agit donc ici plutôt de parler de manipulation et d’une « propagande intensive sans précédent« . Les communicants seront en effet à priori anonymes et opéreront sur la toile sans être reliés à l’institution européenne. Une approche qui se fait déjà sur la toile notamment en publiant des tribunes au profit d’un organisme privé ou public sans le spécifier. Une vraie manipulation, donc, puisque l’on ne connaît pas l’identité de son interlocuteur.
Une logique qui relève cependant aussi de la contre-manipulation puisque les communicants n’auront comme armes que des faits, de la pédagogie et des graphiques. Pas question à priori de relever à de la violence intellectuelle (agressivité, provocation, exagérations…) pour convaincre les Internautes. Reste que leur anonymat ne permet pas de parler de communication ou d’influence classiques. On notera d’ailleurs que la logique ici est assez comparable à certaines des actions menées par des unités d’opérations psychologiques dans les armées modernes.
Le PE serait-il en train de nous concocter une unité de cyber psyops institutionnels? Intriguant en tout cas.