Les forces armées israéliennes se sont illustrées ces dernières années par l’efficacité de leur communication. Une communication opérationnelle (ce que font les forces sur le terrain) et une communication politique (pourquoi les forces font ce qu’elles font sur le terrain) déclinées en fonction des publics visés dans plusieurs langues (hébreu, arabe, anglais, français, russe…) et sur plusieurs supports (textes, vidéos, photos, réseaux sociaux…).
Si Israël déploie de tels efforts en matière de communication, c’est parce que le message est difficile à faire passer. Les opinions publiques des pays musulmans sont solidaires par habitude culturelle et les opinions publiques occidentales peinent à comprendre que le fort puisse déployer de tels moyens de coercition face au faible (au moment de l’écriture de ce billet, plus de 200 morts côté palestinien… contre un mort côté israélien). La tolérance de nos populations pour les pertes civiles a également contribué à une perception négative des méthodes de Tsahal. Face à cette hostilité, l’armée israélienne a longtemps préféré maintenir les journalistes sur la touche en leur refusant tout accès au terrain (c’est toujours en partie le cas aujourd’hui). Une attitude qui a incité beaucoup de reporters à se rendre auprès des Palestiniens… et donc à les sensibiliser à la cause de ces derniers.
Tournant majeur des stratégies de communication israélienne, l’opération Plomb durci en 2008 marque notamment l’entrée dans l’ère des réseaux sociaux. Tsahal rend compte de sa guerre en temps réel, via Twitter, Facebook et autres Youtube. Les cibles sont désignées, les attaques filmées. Pour éviter les interprétations médiatiques, les Israéliens communiquent de fait directement auprès du public. Une stratégie largement appliquée depuis et notamment au cours de l’opération Bordure protectrice, initiée au début du mois de juillet. Elle a plusieurs mérites:
– Communication opérationnelle: elle donne en temps réel la version israélienne des combats, non confrontée à celle de l’adversaire.
– Contre-propagande: elle répond aux messages de l’adversaire en illustrant par des photos et des textes courts les manipulations de l’autre.
– Relations publiques: à travers des messages pédagogiques et simples, elle sensibilise les populations amies à la cause israélienne.
– Communication politique: elle diffuse largement la sémantique israélienne, l’ennemi est un « terroriste » et l’objectif de la mission est la « défense des populations« .
Quatre enfants et tout fou le camp
Dramatique « incident » (c’est le mot employé par la communication israélienne), quatre enfants ont été tués par des tirs mercredi. Des images qui tournent en boucle sur toutes les télévisions pour la simple et bonne raison que cela s’est déroulé en face de l’hôtel où les journalistes occidentaux ont l’habitude de se loger. Certains d’entre eux ont ainsi apporté les premiers soins aux petites victimes, abattues alors qu’elles tentaient de fuir la plage où elles jouaient au ballon et où elles ont été prises pour cible.
Le conflit israélo-palestinien, comme la plupart des guerres, est d’une rare complexité. Les aspects historiques, humains, politiques, stratégiques, juridiques font l’objet de rapports de force et d’oppositions d’intérêts intenses. Pour les observateurs qui refusent de choisir un camp, il s’agit souvent d’essayer de comprendre ces affrontements au delà de la prise de position émotionnelle. Reste que cette fois, l’image de quatre petits Palestiniens bombardés sans aucune raison visible est de ces symboles qui peuvent faire basculer radicalement les opinions.
L' »incident » est d’autant plus incompréhensible que la communication israélienne a largement cherché à présenter Tsahal comme l’une des armées les plus précises au monde: pourquoi mener une attaque sous les yeux de la presse étrangère, au risque de créer ce type d’images. Des ciblages de leaders du Hamas aux coups de téléphones passés aux habitants avant un bombardement, Israël a toujours insisté sur le fait que ses forces font leur maximum pour épargner les populations. Reste que dans des combats en milieu urbain, dans un environnement où la densité de population est particulièrement élevée, il est impossible de ne pas tuer d’innocents.
La communication c’est bien, le comportement c’est mieux
Il convient de s’interroger sur la nature de ces combats. Alors que Tsahal bombarde quotidiennement la bande de Gaza et que le Hamas continue de tirer des roquettes vers Israël, quels sont les objectifs poursuivis par les belligérants? Le conflit n’est en réalité pas une simple guerre entre Israël et Palestine mais la rencontre de deux théâtres d’oppositions, internes. Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, fait l’objet d’une intense pression de la part de son aile droite. Sans cette dernière, sa coalition gouvernementale s’effondre. Or elle impose des réponses toujours plus fortes à l’existence du Hamas et pousse à une intervention terrestre massive. A Gaza, le Hamas a peiné ces derniers mois à trouver quel rôle jouer sur la scène politique. Sa raison d’être reste le combat contre l’oppresseur israélien et il lui est difficile de pouvoir exister dans la négociation d’une paix durable. Le mouvement, notamment sa branche armée, particulièrement influente, a donc intérêt à poursuivre ses propres bombardements. Des positions qui séduisent, dans chaque camp, du fait d’années de rancunes et de haines.
Des luttes qui relèvent fondamentalement de la politique interne et qui interrogent sur les buts politiques de l’opération militaire. Car sans but politique, clairement identifié, difficile de gagner une guerre. Tsahal répond à cette interrogation en affirmant vouloir anéantir les terroristes. Or aujourd’hui, rares sont les armées modernes à penser qu’il est possible de remporter un conflit asymétrique contre un mouvement insurgé à grands renforts de bombardements aériens. Une telle stratégie correspond à ce que pratiquaient les Américains jusqu’en 2006 avant de virer à 180°… ou à ce que pratique l’armée syrienne aujourd’hui. Cette approche contribue en effet à nourrir les velléités de vengeances en convaincant, pour chaque civil tué, pour chaque enfant abattu, plusieurs de ses proches de prendre les armes.
Plusieurs pays développent de manière croissante des réponses à ces problématiques. Ils en arrivent à penser que la conviction est une arme au moins aussi utile que le canon. Plutôt que d’abattre l’adversaire, il s’agit de lui faire accepter que l’on a raison, ou qu’il a tord. Ce que les Anglo-Saxons appellent de la communication stratégique (Stratcom) et que nous appelons plus volontiers l’influence, regroupe la plupart des outils cités plus hauts: communication opérationnelle, actions civilo-militaires, opérations psychologiques.
Pour les spécialistes de ce domaine, le grand questionnement est de savoir comment évaluer les résultats de ces opérations (lire à ce sujet mon article dans le magazine DSI, à paraître en septembre, sur les opérations d’information en Afghanistan). Israël illustre parfaitement cette problématique: malgré des efforts conséquents pour faciliter l’approvisionnement de Gaza en biens de première nécessité, il est peu probable que les Palestiniens soient convaincus par la légitimité de leur action.
Les chercheurs estiment aujourd’hui que plus que l’audience obtenue par le message, c’est le comportement qui compte pour obtenir et mesurer des effets. Le comportement, c’est la tendance que vont avoir les populations ciblées à adopter certaines habitudes concrètes. Les civils appellent-ils spontanément la force militaire à l’aide? Se rendent-ils d’eux-mêmes auprès d’installations sanitaires proposées par la force militaire? Rejettent-ils, voir affrontent-ils, les combattants qui sont dans leur camp? A Gaza, toute analyse comportementale semble laisser penser que les populations restent très largement favorables au Hamas, niant toute possibilité d’obtenir des résultats concrets à l’armée israélienne.
Les Américains ou les Français ont largement compris, en Irak ou en Afghanistan, que pour obtenir des comportements favorables, il fallait soi-même faire preuve d’un comportement exemplaire. Faire le premier pas, en quelques sortes. Le paroxysme de cette logique semble être l’attitude adoptée par un officier des forces spéciales de l’armée de terre américaine dans le sud afghan: lui et ses hommes abandonnaient uniforme et gilet pare-balles pour vivre parmi les Afghans avec des tenues locales afin d’obtenir leur aide, leur assentiment et leur confiance. Ce dernier se revendique de résultats exemplaires, salués par de grands noms du commandement militaire américain.
C’est certainement là tout ce qui manque à l’armée israélienne. La communication, sans objectifs militaires et politiques clairs, et sans une logique comportementale systématique, n’est finalement qu’une logique publicitaire. Achetez notre guerre, plutôt que celle du Hamas, semblent s’acharner à répéter les communicants israéliens. Séduisant tant les slogans sont bons. Beaucoup moins lorsque l’on voit ce qu’il y a derrière l’emballage et qui prend la forme de quatre enfants déchiquetés sur une plage en pleine partie de ballons.