Sorti tout récemment, Géopolitique des médias – Acteurs, rivalités et conflits est un ouvrage généraliste intéressant. Bon point de départ pour quelqu’un qui s’intéresse à la question des médias dans les conflits, il a également le mérite d’offrir le regard d’un praticien original dans ce domaine: le géographe. Philippe Boulanger, professeur de géopolitique à Paris VIII, fait ici le tour de différentes problématiques en rapport avec ces questions: géographie, médias, économie des médias, politique des médias, utilisations militaires mais aussi cyberespace.
L’auteur propose la définition suivante pour cette géopolitique des médias:
« La géopolitique des médias consisterait ainsi en l’étude des rivalités de pouvoir entre les acteurs médiatiques, de la représentation de ces luttes d’influence par les médias, du discours des médias comme révélation des mutations géopolitiques en cours. Elle permet de comprendre les grands déséquilibres du monde actuel puisque les médias en sont les acteurs et les reflets. Surtout, les sources et les outils d’information, la captation des audiences sont à la fois des enjeux de domination de l’opinion comme des moyens privilégiés de comprendre les stratégies de contrôle, les tensions et les rivalités entre les acteurs. »
Au fil des pages, on y trouve aussi bien des rappels de l’histoire des médias que des approches de leur rôle dans l’espace. Loin d’être marginal, le rôle de l’information se ferait de plus en plus prégnant dans la stratégie opérationnelle. Ils jouent un double rôle dans la guerre: « D’un côté, ils sont considérés comme des outils de guerre […]. D’un autre côté, ils proposent une représentation du conflit par la diversité des supports médiatiques. »
Le militaire dans le champs médiatique
D’un point de vue opératif, le média devient donc de fait un outil. L’auteur évoque les différentes applications: renseignement, influence, opérations psychologiques, propagande, communication opérationnelle ou politique… Comme le notait déjà Platon, « l’art de persuader dépasse de beaucoup tous les autres car il asservit tout à son empire par le consentement et non par la force« . Or, partout à travers le monde, l’accès à l’information augmente. Là, le géographe notera plusieurs grilles de lectures utiles à l’appréhension des médias dans le conflit: couverture des territoires (tv, radio, Internet…), données socio-démographiques (culture, lettrisme, langues…) ou encore aires d’influences des médias.
Ces évolutions, le militaire les appréhende de manière croissante. « La stratégie d’influence demande ainsi une perception du réel au-delà de ses propres représentations culturelles et la conception d’une manoeuvre globale« , note Philippe Boulanger. « Le message global doit donner une information vraie, authentique et crédible. » Plusieurs notions clefs, donc, à retenir: approche culturelle, vérité de l’information, crédibilité du message.
A relever, enfin, la complexité des crises actuelles, qualifiées de « crises internes », qui impliquent l’effondrement généralisé d’Etats incapables de reprendre la main sur leur sécurité et leur avenir. Des conflits qui impliquent un nombre conséquent d’acteurs, eux-mêmes emprunts de stratégies d’influence qui leur sont propres. « L’émergence d’une zone grise constitue un point commun où l’Etat n’a plus les capacités d’assurer les services de base (éducation, transport, santé), de garantir la sécurité des citoyens et de représenter la légitimité nationale. Elle apparaît également d’une grande complexité en raison de la multitude d’enjeux (politiques, économiques, socio-culturels), d’acteurs (les populations civiles victimes), les entrepreneurs de la zone (les seigneurs de la guerre, les mafias), l’Etat national généralement impuissant, les Etats voisins qui interviennent pour piller les ressources ou défendre leur propre sécurité, les puissances internationales qui établissent leur influence, la communauté internationale qui réagit au nom de principes humanitaires (Nations unies, Alliance atlantique, Union européenne, ONG, entre autres. »
Représentations
Ces stratégies d’influence ont, de fait, des conséquences sur les représentations du conflit et de ses acteurs. Les stratèges qui sont amenés à mettre en oeuvre les volets médiatiques de l’approche globale évoquée ci-dessus doivent donc s’adapter aux réalités socio-culturelles des différents champs informationnels dans lesquels ils opèrent. Prenons un exemple, déjà évoqué dans son ouvrage par le général Royal, qui illustre parfaitement une réalité propre à nos médias: suite à l’embuscade d’Uzbin, en 2008, « les médias accordent une légitimité supérieure aux impressions des rescapés ou des proches de soldats tués qu’à la communication officielle ». Cela implique de s’interroger sur la valeur accordée à celui à qui l’on fait transmettre le message.
Globalement, Philippe Boulanger tend cependant à décrire le journaliste comme largement dépassé par l’ensemble des stratégies d’influence auxquelles il est exposé. Une domination, en terme de moyens, qui s’établit d’ailleurs quel que soit le régime concerné: « Dans les régimes autoritaires, le rapport médias-pouvoir suit une même ligne politique. Dans les régimes démocratiques, il apparait plus subtil. Les journalistes peuvent être soumis à diverses influences ou formes de contrôle. »