Au Mexique, difficile de discuter de l’empire des cartels de la drogue. Les autorités sont dépassées. Les médias impuissants face à la violence qui leur impose le silence. Les populations préfèrent ne rien dire, au risque de se voir prendre pour cible. Les groupes criminels organisés, véritables petites armées aux réseaux particulièrement étendus, ont pris l’habitude de rituels macabres exposant exécutions et cadavres pour bien faire comprendre à leurs détracteurs ce qui les attend.
C’est dans ce contexte que Felina, @miut3, s’est opposée à l’omerta grâce aux réseaux sociaux. Sur Twitter et sur Facebook, elle faisait partie des animateurs d’un réseaux de citoyens baptisés « valor por tamaulipas », courage pour Tamaulipas. Cette ville est en effet la proie d’une violente guerre des gangs entre le cartel du golfe et les zetas. Sur son compte, Felina donnait des informations en temps réel: avis de recherche de personnes disparues, suivi de violences et de combats, conséquences de cet empire des cartels. Faute d’information libre, de nombreux Internautes se sont abonnés: 500000 sur Facebook et 100000 sur Twitter.
Une liberté de ton et une influence qui n’ont pas plus aux cartels. Début octobre, ils promettent des récompenses. 37000 euros à quiconque aurait des informations sur l’identité des administrateurs de ces réseaux sociaux. Certains des activistes, inquiets, se sont fait plus discrets. Felina, elle, a refusé de renoncer et a continué plus que jamais à diffuser des informations. « Nous arrivons tout près de beaucoup d’entre vous, méfie-toi Felina« , annonçaient des hommes des gangs sur Twitter le 8 octobre dernier.
Les différents cartels mexicains ont appris à se servir des réseaux sociaux. Ils y exposent leurs messages. Des armes pour montrer leur puissance, des exécutions pour montrer leur violence et parfois même des selfies de certains de leurs membres, pour insister sur leur impunité. Là où les mises en scène d’exécutions, notamment les pendaisons de corps sur des ponts, assuraient la publicité de leurs atrocités, Twitter et Facebook leur assurent de pouvoir diffuser eux-mêmes leurs images.
Et puis ce 16 octobre 2014, le compte Twitter de Felina -aujourd’hui désactivé- annonce en direct son exécution. « Chers amis, chère famille, mon véritable nom est María del Rosario Fuentes Rubio. Je suis médecin. Aujourd’hui, ma vie prend fin. » Pour signer le message, une photo de l’activiste, menottée, puis de son corps, exécuté d’une balle en pleine tête.
Comment les malfaiteurs ont-ils retrouvé Felina? Personne ne le sait. Il pourrait s’agir d’un malheureux hasard. Des hommes en colère pourraient l’avoir enlevée pour se venger de la mort d’un petit garçon de 4 ans, suite à des complications lors de soins à l’hôpital où travaillait Maria del Rosario. En fouillant dans son téléphone, ils pourraient alors avoir réalisé qu’elle était l’activiste dont la tête était mise à prix par les cartels. Les autres animateurs de valor por tamaulipas dénoncent cette version comme une manipulation et assurent qu’elle a bien été prise pour cible directement. Pour la justice, débordée et impuissante, il ne s’agit que d’une banale affaire d’enlèvement.
Difficile de dire si cette exécution parviendra à faire taire l’espace de liberté qui survit tant bien que mal sur les réseaux sociaux mexicains. Les animateurs de valor por tamaulipas espèrent que non et que le combat de Felina se poursuivra. Reste que le pays est marqué par la toute puissance des cartels, qui ont déjà réussit à faire taire la quasi-totalité de la presse conventionnelle.
Les menaces et les exécutions comme celles de Felina durent depuis de nombreuses années. En 2011, déjà, plusieurs personnes avaient été tuées, mutilées et suspendues à un pont à Nuevo Laredo. A côté des cadavres, une affiche en guise d’avertissement: « C’est ce qui arrivera à tous ceux qui postent des choses marrantes sur Internet. Vous feriez mieux de faire attention, je suis sur le point de vous attraper.«