Virgil Hawkins se penche depuis de nombreuses années maintenant sur la couverture des conflits oubliés (stealth conflicts). Cet ancien humanitaire, chercheur à l’université d’Osaka, se demande pourquoi les médias s’intéressent plus à certaines guerres qu’à d’autres. Il remarque que, l’effet d’influence des médias étant ce qu’il est, les crises moins suivies sont de fait moins l’objet de l’intérêt des pouvoirs politiques internationaux.
Dans un article de 2011, il s’est ainsi penché sur la couverture média américaine des guerres au cours de l’année 2009. A travers un échantillon de la production des principales chaines de télévision, du New York Times et des réponses à une recherche simple sur Google, il a pu classifier la hiérarchisation médiatique. Sans surprise, les conflits concernant plus directement les Etats-Unis sont largement représentés : Afghanistan, Irak, Israël/Palestine et Pakistan. Dans le New York Times, l’Afghanistan est traité 1.3 fois plus que l’Irak et deux fois plus que le Pakistan… et près de vingt fois plus que la République Démocratique du Congo. A la télévision, on parle trois fois plus d’Afghanistan que d’Irak, quatre fois plus que du Pakistan, pour un rapport totalement démesuré vis-à-vis de la RDC.
Ce qui interpelle Hawkins, c’est que cette hiérarchie n’a rien à voir avec le nombre de victimes lors de ces conflits. Ainsi, la guerre en République Démocratique du Congo, qui est l’une des plus meurtrière, est abordée de manière extrêmement marginale. Les conflits en Colombie, au Sri Lanka, au Yémen ou en Somalie sont presque absents des préoccupations médiatiques, malgré des pertes humaines colossales. Modeste exception: le Darfour a tiré son épingle du jeu entre 2004 et 2006, notamment du fait du lobbying de plusieurs personnalités américaines.
Hawkins résume ainsi l’intérêt médiatique et sa hiérarchisation des crises: « Les facteurs qui déterminent le niveau de couverture des conflits sont complexes. L’implication (ou l’intérêt) des élites nationales et du peuple (intérêt national et politique), l’accessibilité et la proximité du conflit vis-à-vis des bureaux de grands médias, l’identification (proximité religieuse, culturelle, ethnologique, de l’audience vis-à-vis des populations victimes), le capital sympathie (perception d’un groupe de victimes innocentes), la simplicité du problème, la continuité (les conflits sont-ils déjà connus) et le sensationnalisme sont quelques uns des facteurs qui jouent un rôle sur le fait qu’un conflit attire ou pas l’attention médiatique. »
On note que pour Hawkins, la question de l’importance historique et globale de la crise, ou encore le nombre de victimes, sont clairement des facteurs qui entrent en jeu de manière marginale dans le choix de la couverture.
Exception médiatique, Internet réduit les écarts entre les crises les plus traitées et les moins traitées. Pour l’auteur de cette étude, il s’agit plus probablement du fait de la mixité entre les langues et les sources sur la toile. Cela n’empêche à priori pas l’idée que les médias abordent ces questions d’une manière équivalente relativement à leurs intérêts et facteurs respectifs. Sur Google, c’est ainsi le conflit israélo-palestinien qui est le plus traité.
Partage du gâteau
Pour l’année 2009, l’Afghanistan est le conflit le plus traité par les médias américains. Il faut y voir là l’une des conséquences des manœuvres politiques et stratégiques entamées avec le premier mandat de Barack Obama. Ce théâtre redevient la principale priorité pour Washington alors que l’Irak est progressivement évacué. La menée, de front, d’opérations d’envergure sur ces deux théâtres ; couplée à d’importantes manoeuvres diplomatiques au Pakistan et au Moyen-Orient, justifient-elles un traitement conséquent de chaque conflit indépendamment des autres?
Pas certain répondait le New York Times en 1999. Le journal américain notait alors, dans les premiers mois de l’année, que la crise au Kosovo avait tout simplement volé la vedette aux principaux conflits africains. Hawkins évoque ainsi un « gâteau de la couverture qui ne devient pas forcement plus large, l’émergence de nouveaux conflits signifiant inévitablement des « parts » plus petites pour les conflits oubliés« . De la même manière, on note souvent que l’explosion de crises tend à faire oublier celles en cours (les dernières opérations à Gaza ont occulté l’Ukraine ; la Georgie en 2008 ; la Libye en 2011…).