Les faits
C’était l’une des grosses histoires révélées par Michael Hastings, récemment mort dans des conditions curieuses aux Etats-Unis. En 2009, le lieutenant-général (trois étoiles) William Caldwell, dont la mission était la supervision de la formation des forces afghanes, recommande à son équipe des opérations d’information de se focaliser pendant plusieurs mois sur les visiteurs américains. Plus précisément, il attend des spécialistes des opérations psychologiques de trouver comment manipuler les sénateurs et les représentants en visite sur le théâtre afghan. Il envisagera même de faire la même chose contre des responsables de l’Otan.
L’équipe des opérations psychologiques en question devra, pendant plusieurs mois, récolter des informations sur les visiteurs : opinions politiques, positions stratégiques, réseaux, historique de vote, relations personnelles. L’objectif est de trouver les leviers psychologiques sur lesquels appuyer pour les convaincre malgré eux de soutenir coûte que coûte les opérations militaires en Afghanistan. Pendant les réunions les spécialistes de ces techniques doivent de plus prendre des notes pour identifier les résultats obtenus.
Lorsque le commandant des opérations d’information, le lieutenant-colonel Michael Holmes, s’inquiète un peu trop de la légalité de ces actions, il devient l’objet d’une enquête de commandement. On lui reproche dès lors, entre autres, une relation inappropriée avec l’une de ses subordonnées féminines, de trop utiliser Facebook, de boire de l’alcool ou encore de se rendre en tenue civile dans des zones afghanes interdites. L’affaire fuite dans le magazine Rollingstone en février 2011.
De quoi parle t’on
Comprenons bien ce qui différencie une action de lobbying d’une action psychologique. Le lobbyiste va chercher à développer un argumentaire pour convaincre son interlocuteur. Chez les militaires, qui peuvent être amenés à mener ce genre d’actions, pour défendre leur besoin de recevoir plus de troupes par exemple, on parle de relations publiques. Des campagnes de relations publiques peuvent être menées auprès d’une multitude de publics : population amie, population alliée, décideurs politiques nationaux, forces armées locales, ennemis, population hostile … Il s’agit surtout de déployer de l’information pour amener les cibles à évoluer dans leur opinion et leurs choix stratégiques.
Exemple : j’informe la population afghane que mon hôpital lui ouvre ses portes pour la convaincre que je ne suis pas son ennemi.
Les opérations psychologiques relèvent de leur côté d’un panel d’outils différents. Les spécialistes qui opèrent dans ce domaine peuvent recourir, outre à des techniques d’information, à des techniques de manipulation. Ils sont experts dans les biais cognitifs qui caractérisent les gens en général, et certaines cultures en particulier. Ils peuvent aussi jouer sur les failles psychologiques d’individus, en recourant au besoin au mensonge, à la déception ou au chantage moral.
Exemple : je ne vous ai pas attaqué, aujourd’hui, car je savais que vous enterriez l’un de vos morts. Votre sens de l’honneur exige de vous que vous le preniez en compte en temps voulu si vous envisagez des actions asymétriques contre nous.
Les opérations publiques, psychologiques, ainsi que tout ce qui touche au civilo-militaire (construction de ponts, d’écoles, de routes, distribution de divers biens) relèvent collectivement des opérations d’information. Vocable à la mode, on parle depuis quelques années de faire la guerre pour les coeurs et les esprits…
Pourquoi ce n’est pas très très bien …
La première raison de condamner ces méthodes n’a rien de moral. Elle est juridique : user d’actions de propagande contre des Américains est interdit par la loi américaine. Les opérationnels apprennent très tôt qu’ils ne doivent mener des opérations psychologiques que contre des publics ennemis ou hostiles. Le gros de leurs efforts est tourné vers les combattants adverses et les populations qui leur apporte du soutien.
Opérationnellement, on peut douter de l’efficacité de l’approche. La mission du général Caldwell était de préparer la formation des troupes afghanes. Son unité d’opération d’information devait donc travailler dans ce sens. Les relations publiques devaient organiser les différents argumentaires, destinés aux Afghans, aux alliés et aux Américains. Les opérations psychologiques devaient elles trouver des moyens de faire comprendre aux adversaires qu’ils avaient tout intérêt à déposer les armes, qu’ils combattaient leurs propres frères afghans, que les forces de sécurité défendaient le pays et qu’il fallait leur apporter tout le soutien nécessaire.
Si dans les relations publiques, on informe et on convainc, dans les opérations psychologiques, on manipule pour convaincre. La nuance est parfois subtile : si au cours de la discussion, je joue sur la sympathie de mon interlocuteur et sur notre appartenance mutuelle à un quelconque club – «Vous aussi êtes un fan des Lakers ?! Comme c’est heureux cher ami !» -, suis-je dans l’information ou dans la manipulation ? Les limites entre ces différents champs d’action, si elles restent faciles à définir … deviennent particulièrement floues lorsqu’on est dans le concret. Ce qui assure le respect des règles et d’une pratique morale de ces actions, c’est bien souvent la notion de confiance.
De la confiance dans les opérations d’information
La confiance, dans les opérations d’information, est fondamentale. Pour informer efficacement, un service de relations publiques doit pouvoir s’appuyer sur la confiance qu’il suscite chez ses interlocuteurs. Un communicant qui embobine régulièrement ses contacts perdra toute capacité à faire passer un message. Les opérations psychologiques, aussi discrètes soient-elles, doivent profiter d’un phénomène comparable. Si elles sont identifiées comme diffusant des messages mensongers, elles n’obtiendront guère d’effet.
Pour reprendre l’exemple ci-dessus, si je fais comprendre à mes insurgés que je ne vais pas les attaquer pour profiter de l’occasion pour leur lâcher une GBU-500 sur la poire, ils risquent de ne pas se faire avoir la prochaine fois.
C’est tout le problème de l’affaire des sénateurs américains. Dès lors que l’affaire est ébruitée, les parlementaires risquent de se montrer à l’avenir on ne peut plus méfiants vis-à-vis de l’institution. Chaque fois qu’un officier leur présentera un argumentaire, ils risquent de douter de leurs conclusions : sont-ils convaincus parce que leur interlocuteur dit vrai ou parce qu’il a joué sur leur inconscient ?
Pour éviter de plomber son capital confiance, il suffit en général de bien démarquer les différentes activités, quitte à avoir le sentiment de perdre parfois en capacités. Les opérations d’information se valorisent sur la durée. Dans la pratique, ce n’est pas toujours aussi compliqué qu’il y parait : glisser que l’on est fan des Lakers à un élu californien relève de la courtoisie, faire comprendre à un bon chrétien qu’il est du devoir du croyant de soutenir les troupes n’est pas du même registre.