« Au-delà des massacres perpétrés, l’objectif poursuivi est bien de battre en brèche nos valeurs les plus essentielles. Nos « esprits » sont ainsi autant visés, sinon plus, que nos « corps ». »
Le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, insiste dans une tribune publiée dans le Figaro de ce lundi 21 mars sur l’aspect cognitif de la guerre menée contre le terrorisme islamiste. L’officier y note l’importance de la lutte idéologique et de la confrontation des valeurs. Il insiste sur l’importance du combat physique, mais aussi d’un champ de bataille particulièrement stratégique, que les autorités hésitent pourtant souvent à qualifier, celui de « l’influence » :
« Le second champ [, après celui de la lutte physique], moins visible, est pourtant le plus important : il s’agit de celui des « esprits », de l’influence, sur lequel notre ennemi actuel est extrêmement performant. La vivacité de son recrutement tient notamment en grande partie à sa maîtrise de ce champ. Son « offre de valeurs » est séduisante. Nous devons, pour gagner la guerre, prendre l’ascendant sur le champ des « esprits » par une offre supérieure. »
Là où certains responsables, dans la parole publique récente, se sont appliqués à sous-évaluer les capacités de l’Etat islamique, et notamment sa force de conviction, le général Bosser affiche un constat réel : ils sont bons. Et c’est parce qu’ils sont bons, notamment dans leur propension à proposer une cause, des objectifs et une raison d’être à des citoyens d’un grand nombre de pays, qu’ils attirent autant de volontaires. La qualité de leur communication d’influence rend nécessaire une réponse adaptée et au moins aussi ambitieuse, sinon plus, comme l’explique l’officier : « Prendre l’ascendant consiste à produire des effets supérieurs à ceux de l’ennemi. » Il ne s’agit pas de se contenter de le moquer à grands coups de répliques condescendantes. Il s’agit d’en prendre toute la mesure et d’être meilleurs que lui.
L’armée comme alternative
C’est ainsi que le chef d’état-major de l’armée de terre justifie la réflexion menée depuis quelques mois sur une action militaire sur le sol national. Une action qui passe par l’opération Sentinelle et sa visibilité permanente, mais aussi par la simple existence de cette force, qui est l’une des réponses possibles à l’attractivité de l’Etat islamique.
Le général Bosser remarque à propos des 20 000 jeunes qui seront intégrés dans l’armée de terre en 2016, de l’active à la réserve en passant par le service militaire volontaire, qu’ « ils ont trouvé dans le monde militaire un projet collectif, des valeurs, un sens à leur existence. Ceux qui rejoignent Daech sont issus de la même jeunesse mais vont chercher ces valeurs dans l’islamisme radical. »
Nous entendons régulièrement des hoquets de surprise lorsque nous notons dans des colloques ou des débats la similarité entendue dans les justifications de jeunes djihadistes et de jeunes soldats : la recherche d’une cause à défendre, le besoin d’action, l’envie de se battre pour défendre des innocents, la croyance en une cause supérieure et noble, le besoin d’appartenir à une communauté de lutte et de conviction, la soif d’aventure et d’accomplissement de soi.
Lorsqu’on nous demande comment on peut oser une telle comparaison, nous avons une pensée pour ce jeune réserviste rencontré il y a quelques années. Etudiant et sportif d’exception, ce jeune issu de l’immigration est un pratiquant assidu d’un islam découvert avec sa mère, isolée tant socialement que linguistiquement. Le jeune homme raconte comment l’un de ses petits camarades, au parcours si semblable, a préféré opter pour la délinquance, puis pour la radicalisation et enfin la mort au combat en Syrie. Pourquoi l’un choisit de servir son pays, avec abnégation et fidélité, et l’autre une cause si radicalement différente ? « Je ne sais pas », admets modestement ce réserviste.
C’est pourtant dans la réponse à cette question qu’il faut chercher celle à la lutte contre l’islamisme radical, et contre le djihad. C’est là aussi que malgré les ressemblances, tout sépare les dizaines de milliers de Français qui décident de servir leurs armées et leur pays, de la poignée qui prête allégeance à l’Etat islamique.
Il ne faut pas avoir peur des mots, défend le général Bosser. Il faut parler de « guerre » contre un « ennemi », car sans cela, on ne pourra pas parler de « victoire ». Il faut se mettre à « portée rhétorique » de l’ennemi, comme l’explique le rhétoricien Philippe-Joseph Salazar, afin de démonter son argumentaire et de triompher sur le terrain des mots, mais surtout sur celui des idées.