Behavioural Conflict, sous-titré « Pourquoi comprendre les gens et leurs motivations sera décisif dans les conflits futurs », est d’une richesse rare. A mi chemin entre théorie et témoignages opérationnels, il permet de bien comprendre les enjeux liés à l’influence. J’ai tout simplement rarement pris autant de notes en lisant un bouquin.
Les deux auteurs, le major général Andrew Mackay et le capitaine Steve Tatham, ont une riche expérience opérationnelle. Le premier a un parcours de commandement relativement classique. Le second est un pur produit des opérations d’influence et de la communication et est l’auteur de plusieurs travaux sur le sujet. A eux deux, ils cumulent de multiples déploiements en Afghanistan, en Irak, en Irlande du Nord, en Bosnie, au Kosovo, en Sierra Leone et au Liban.
Dans cet ouvrage, ils expliquent comment leurs expériences opérationnelles les ont amené à prendre conscience de l’importance de l’influence et de la maîtrise de l’environnement humain des opérations. Le général Stanley McChrystal, ancien patron de l’ISAF en Afghanistan, résume bien la démarche par ce constat: « Nous sommes tactiquement et stratégiquement inefficients si nous nous attendons à gagner le soutien des populations sans chercher à les comprendre. »
Un ennemi très en avance
Il est intéressant qu’à de multiples reprises dans cet ouvrage, les auteurs s’inquiètent d’une forte avance de l’ennemi en matière d’influence. Ils relèvent régulièrement à quel point les forces occidentales ont sous-estimé la maîtrise des outils numériques de leurs adversaires. Par exemple Mollah Abdul Salaam Zaeef, revenu de 4 ans à Guantanamo pour devenir ambassadeur des taliban au Pakistan, surprenait tout le monde en témoignant à propos de son iPhone dans une interview à AP en 2009:
C’est facile et c’est moderne et j’adore ça. Je l’utilise pour aller sur Internet. Parfois, je m’en sert pour le GPS, afin de trouver des directions.
Même écho de Hamid Mir, biographe d’Oussama Ben Laden, qui décrivait la connectivité des hommes d’Al Qaeda dès le début du conflit en Afghanistan :
En fuyant les bombes américaines en novembres 2001, les militants d’Al Qaeda avaient à chaque seconde leur ordinateur portable, en plus de leur kalachnikov.
Une technicité qui s’explique par la stratégie d’influence des djihadistes, largement plus concentrés sur cette démarche que les Occidentaux, comme le relevait de son côté David Kilcullen :
Nous concevons d’abord des opérations physiques, puis des opérations d’information pour expliquer nos actions. C’est l’inverse de l’approche d’Al Qaeda. Malgré tout notre professionnalisme, en comparaison de celle de l’ennemi, nos relations publiques ne sont pensées qu’après coup. En termes militaires, pour Al Qaeda, l' »effet principal » est l’information ; pour nous, l’information est un « appui ».
Comprendre la population
Avec humour, les auteurs racontent l’expérience d’un soldat britannique en Afghanistan, près de la frontière pakistanaise, lorsqu’ils rencontrèrent en plein soleil un vieillard en train de planter des graines. Alors qu’ils soupçonnent que celui-ci sème du pavot, ils s’étonnent de voir qu’il s’agit de blé. L’Afghan explique que suite à la mort de Benazir Bhutto, les cours vont grimper et qu’il s’agit là d’un investissement. Contrairement aux préjugés des militaires, ce paysan en pleine cambrousse était beaucoup plus informé qu’ils ne l’imaginaient et prenaient en compte certains reflux géopolitiques.
A conditions que ceux-là ne le concernent. A l’inverse, les études ont montré que les Afghans étaient largement ignorants des événements qui avaient causé le déploiement occidental. 92% d’entre eux n’ont jamais entendu parler du 11 septembre 2001 et un sur trois est convaincu que la coalition est là pour détruire son peuple.
La compréhension de l’environnement informationnel, culturel et sociologique des populations est cruciale. Il n’est pas non plus anodin de se questionner sur les défis linguistiques, comme le note l’un des auteurs qui a été confronté à un vrai problème : il n’existe pas de mot en pachto pour traduire « réconciliation ». L’interprète a opté pour ce qui s’en rapprochait le plus… « surrender« .
Un ouvrage fortement recommandés pour se familiariser avec les concepts liés à l’influence et à la propagande, sans excès de retours sur l’histoire de ces notions. Parfait pour comprendre ce que sont, par exemple, des « Measurement of effectiveness » (MOE) ou des « Target audience analysis » (TAA).
A lire : MACKAY Andrew & TATHAM Steve (2011), « Behaviroural Conflict: why understanding people and their motivations will prove decisive in future conflict », Saffron Walden : Military Studies Press, 203p.