Intéressant témoignage d’un consultant civil au profit du Combined joint psychological operations task force (CJPOTF), dans le Helmand. Stephen Harley décrit pour le site d’IQ Defense comment l’ISAF livre dans le cadre de la présidentielle afghane une vaste guerre de l’information contre les talibans. Il décrit notamment la mission de cette unité très particulière: développer un réseau de médias à travers le pays, étudier et analyser l’opinion publique, diffuser des messages favorables à la stratégie militaire et enfin, déjouer la propagande talibane.
La force de frappe du CJPOTF repose sur un imposant réseau médiatique, installé en une bonne dizaine d’années dans ce pays. « C’est énorme ici, explique-t-il. Télévision, radio et, de plus en plus, les téléphones portables. » Ces vecteurs sont autant de relais pour diffuser un message. Une partie est sous contrôle des militaires, qui en produisent le contenu. Une autre est animée par des journalistes qui ont été formés par des spécialistes des médias, dont beaucoup auront été sous contrat avec le CJPOTF. Des techniciens radios, des traducteurs, des cadreurs… ils produisent au quotidien une information défavorable par nature aux insurgés.
Stephen Harley refuse l’idée que la propagande de l’ISAF répond à celle des talibans. Ces derniers ont reproché à l’ISAF, dans un communiqué, de chercher à « installer un pouvoir qui paraitrait afghan mais qui suivrait une mentalité américaine, une vision, des objectifs, des moyens et des idéaux directement en conflit avec les enseignements clairs de la religion sacrée qu’est l’islam ». La priorité du CJPOTF est pourtant de produire un contenu qui profite d’une forte crédibilité auprès des audiences, afin que ses messages soient entendus et, autant que possibles, écoutés.
Dans le cadre de ces élections, ce n’est d’ailleurs pas tant sur les insurgés que les psyops du CJPOTF concentrent leurs efforts. Ils veulent avant tout convaincre les Afghans d’aller voter, afin de participer à un événement majeur. En 2009, pour la dernière élection, ce n’est pas tant les talibans que la corruption qui a causé des dégâts à la crédibilité du scrutin, remarque le consultant. « Nous n’allons pas dire aux Afghans que c’est à 100% sécurisé, et d’aller voter sans y penser. Le fait est qu’il y aura des incidents et des gens qui se feront tuer. »
« Efficace »
Interviewé dans le cadre d’un article sur RFI, le colonel François Chauvancy précise l’intérêt de cette démarche. Ce spécialiste de l’influence assure ainsi que les Opérations militaires d’influences (OMI/équivalent des psyops US), sont « la seule chose efficace aujourd’hui avec les actions civilo-militaires ». Pour lui, c’est un moyen de transmettre « des informations directement du militaire au civil, sans passer par le journaliste« , qui a un prisme qui lui est propre.
Lui aussi estime qu’il ne s’agit pas de propagande: « c’est un débat par médias interposés pour convaincre les électeurs d’aller voter ». Il remarque encore que ce type d’opérations est « un travail de longue haleine », se construisant sur le long terme. Enfin, il se dit convaincu que les plus convaincus des pro-talibans ne changeront pas d’avis, quoi qu’ils entendent. Les autres, par contre, peuvent se laisser convaincre par un argumentaire solide.
Une autre cible?
Réflexion intéressante d’Emmanuel Dupuy, enfin. Cet ancien conseiller politique de la force militaire française en Afghanistan, président de l’IPSE, est convaincu que les opérations d’influence de l’ISAF ont aussi comme cible Hamid Karzaï et son entourage. « La question de convaincre les Afghans d’aller voter ne se pose pas, ils le sont déjà! Il s’agit surtout de montrer que tout le processus est normal. » Pour lui, le président afghan pourrait avoir un agenda caché, visant à décrédibiliser l’élection et à refuser de quitter le pouvoir, prétextant un mauvais déroulement du scrutin. Tout l’enjeu serait ainsi de prouver que le vote se sera, in fine, bien déroulé et que la transition ne peut pas être évitée.
Lire l’article sur RFI: Afghanistan, en marge de l’élection, la guerre de l’information