Raphaël Krafft vient de publier Captain Teacher, une radio communautaire en Afghanistan, aux éditions Buchet Chastel.
Raphaël Krafft, vous avez séjourné à deux reprises en Afghanistan sous l’uniforme de l’armée française. Journaliste de métier, vous avez ainsi expérimenté la position de réserviste au sein de la Légion étrangère, pour développer une radio communautaire au profit de la population de Surobi. Comment avez vous travaillé, au sein des forces et sous leurs couleurs?
Raphaël Krafft: Le 2ème REI, qui a fait appel à moi pour mettre en place Radio Surobi et former ses personnels afghans, m’a accueilli sur la FOB Tora dans les meilleures conditions. La perplexité de quelques-uns au sein de l’état-major du GTIA Surobi, commandé par le colonel Durieux, à l’idée d’intégrer un journaliste de métier au dispositif, s’est vite estompée à mesure que Radio Surobi se développait, gagnait en audience et que la presse française en donnait un écho très positif. Un climat de confiance s’est instauré. Les légionnaires ont compris que j’étais là pour accomplir ma mission, rien de plus.
L’environnement professionnel était excellent. Je n’ai jamais été que pigiste depuis que je me suis lancé dans le journalisme, statut souvent méprisé, synonyme de précarité où l’on vous oublie vite. À la Légion, j’ai découvert un monde rugueux, certes, mais où les compétences des uns et des autres étaient reconnues, les doléances entendues, le travail respecté. Les individus au profil atypique et aux parcours individuels originaux semblent trouver aisément leur place au sein de la Légion étrangère.
J’y ai joui d’une grande liberté (voire peut-être plus qu’ailleurs) pour atteindre les objectifs qui m’étaient fixés. Mon expertise était reconnue et entendue notamment quand je soumettais des idées qui allaient à l’encontre du manuel d’emploi des forces dans le domaine de la radio (les émissions en « direct » par exemple). J’ai pu compter au 2ème REI sur un vivier de compétences à faire pâlir n’importe quel DRH.
Radio Surobi a développé une approche communautaire: des Afghans parlent aux Afghans avec des mots d’Afghans. En parallèle, les opérations militaires d’influence (OMI) ont mis en œuvre une autre radio, plus directive, Omid FM. Comment distinguer ces deux approches?
Radio Omid et Radio Surobi émettaient sur des zones de diffusion distinctes, il n’y avait donc pas de coordination jusqu’à ce que les OMI prennent le contrôle de Radio Surobi après le départ de la Légion et du 126e RI pour y diffuser leurs messages. Il est important de rappeler que Radio Surobi s’inscrivait dans un projet de développement local. Elle a d’ailleurs été financée avec des fonds non-institutionnels. Elle s’inscrivait dans le cadre d’une action «civilo-militaire» au même titre que la construction d’une école ou d’un dispensaire. Elle visait à améliorer le cadre de vie des habitant du district, à répondre à un besoin des populations civiles que les autorités locales avaient exprimé aux forces françaises. Elle n’avait donc pas d’ambition tactique directe de lutte contre l’insurrection même si dans ce type de conflit toute action de la force est une opération d’influence.
Je reste perplexe au sujet de Radio Omid. Je ne connais pas son bilan après plusieurs années d’émission mais j’ai quelques doutes sur l’efficacité des messages de propagande qu’elle diffusait; le refus du gouverneur de Kapisa d’apparaitre à son antenne et les menaces envers ses personnels n’étaient pas des bons signes. Toutes choses qui ne me paraissent pas être des moyens efficaces et pérennes pour rallier une population à une cause. Il me semble qu’une opération d’influence fondée sur des bases immorales est toujours vouée à l’échec.
Pour revenir à Radio Surobi, outre sa mission de service public, de promotion de la bonne gouvernance et pour en parler en des termes strictement opérationnels, elle a très largement contribué à améliorer l’image -déjà bonne- de l’armée française dans la région de Surobi, elle a été une source importante de renseignement, « le capteur passif le plus remarquable qui soit pour le renseignement d’ambiance et d’environnement (culture locale) » pour reprendre les termes du colonel Bellot des Minières, ancien chef de corps du 2e REP dont elle dépendait de janvier à juillet 2010.
Qu’est devenue Radio Surobi?
Radio Surobi a perdu toute sa crédibilité aux yeux de la population quand elle a cessé d’être fidèle à son principe fondateur. Les investissements dérisoires financièrement, mais nécessaires au bon fonctionnement de la radio, que ni l’armée française ni l’ambassade de France en Afghanistan n’ont voulu engager, ont été pris en charge par l’armée américaine (PRT, Provincial Reconstruction Team) dès l’année 2010. Cette implication financière des Américains a limité la marge de manœuvre de notre armée: l’idée de faire de Radio Surobi la vitrine du retrait de l’armée française a été évoquée en privé mais vite abandonnée.
Le projet de transférer Radio Surobi de la FOB Tora au centre-ville de Surobi a été abandonné lui aussi. Aujourd’hui Radio Surobi, n’émet plus que 4 heures par jour, toujours sur la FOB Tora désormais occupée par l’ANA, elle est reléguée dans un préfabriqué à l’orée du camp et a perdu la confiance de ses auditeurs. L’un de ses animateurs envisage l’exil par crainte de représailles après le départ de l’OTAN prévu en 2014. Son financement futur est plus qu’incertain, nos services de coopération ne me semblent pas lui porter une grande attention. Un gâchis quand on sait qu’elle était devenue une véritable institution dans la région et qu’elle permettait à une jeunesse étouffée de s’y exprimer.
Pensez-vous qu’il est sain, pour une armée comme la notre, de déployer des moyens d’information au profit des populations locales?
Il n’est peut-être pas sain que l’armée déploie des moyens d’information au profit de populations mais c’est parfois la seule solution. Dans l’idéal, Radio Surobi aurait dû être créée et prise en charge par un organisme de coopération comme RFI ou CFI spécialisé dans le développement des médias quitte à impliquer le ministère de la défense dans le projet. Un vœu pieu quand on connait l’état de la coopération entre les ministères et le peu d’intérêt de notre diplomatie pour cette partie du monde. Les conditions sécuritaires ne permettaient pas non plus à une ONG d’accomplir cette mission à moins d’opérer sous la protection de l’armée française.
Si Radio Surobi a finalement existé dans ce format, c’est donc le résultat d’un concours de circonstances exceptionnelles: un projet de radio communautaire dans une zone en guerre et dépourvue de médias d’information initié par un militaire avec l’aide d’un professionnel issu de la réserve opérationnelle et recruté par le biais de l’Article 9.
Je ne suis pas un spécialiste des Opérations d’Influence et je veux bien croire qu’elles permettent de faire la guerre en limitant les pertes mais j’émets des doutes sur la capacité de l’armée française à les mettre en œuvre quand il s’agit de cibler des populations civiles. Azur FM (radio déployée pendant l’intervention dans les Balkans à la fin des années 1990) mise à part et quelques autres opérations du commandement des opérations spéciales (COS), elle n’a plus d’expérience dans ce domaine depuis la guerre d’Algérie et la dissolution par le général de Gaulle du Cinquième Bureau à la sulfureuse réputation. Elle ne peut plus compter sur le vivier de compétences des appelés du contingent et les moyens qui lui sont alloués sont dérisoires comparé à l’Allemagne -pour ne citer qu’elle- qui s’appuie sur de solides bases humanistes dans ce domaine et des décennies d’expérience. Ce sont autant de freins pour mettre en œuvre un média d’information dans le cadre de ce concept américain de la «globalisation de l’engagement» pour le règlement des conflits.
En me limitant au média radiophonique et pour répondre à votre question, il est simple et peu coûteux en hommes et en argent (hors salaire, Radio Surobi a coûté environ 20000 euros au moment de sa création) de mettre en place une radio éphémère dans une zone de crise. Mais l’armée devrait, selon moi, se cantonner à ne diffuser que des informations pratiques (consignes à respecter, disponibilité des antennes médicales, information sur la neutralisation d’explosifs, présence de champs de mines etc.) et laisser la partie éditoriale à des professionnels éventuellement recrutés par le biais de l’article 9. Cet article de la loi portant sur l’organisation de la réserve militaire et du service de défense qui autorise l’armée à « avoir recours à des spécialistes volontaires pour exercer des fonctions déterminées correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique » est à mon avis un excellent moyen pour palier le manque de savoir-faire de l’armée dans le domaine qui nous intéresse.