Après la démission du général Pierre de Villiers, le gouvernement poursuit le match pour reprendre la maîtrise de l’institution militaire et de la communication de crise. Le départ du chef d’état-major des armées (CEMA), qui réclamait des efforts budgétaires quand l’exécutif propose de l’austérité, a résonné dans l’ensemble de la communauté défense comme un terrible camouflet pour le chef de l’Etat. Toute la journée de mercredi, le sujet a fait la Une des canards.
Jeudi, Emmanuel Macron a profité de sa visite sur la base d’Istres pour éclaircir sa position. Il a rappelé sa volonté de renforcer le budget des Armées dès 2018, précisant que ce serait le seul à bénéficier de ce traitement. Mais en attendant, pas question de revenir sur le serrage de vis au niveau Equipements et pas question d’avoir des hauts responsables militaires qui mènent campagne dans leur coin contre le président.
Les choses auraient pu s’arrêter là. Mais le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a eu des propos durs à l’égard de l’ancien CEMA, cités dans le Figaro: « Le départ de Pierre de Villiers n’a rien à voir avec son audition par la commission de la Défense, le 12 juillet, même si Pierre de Villiers aurait pu s’imaginer que ses propos allaient fuiter, à moins de manquer d’expérience. […] C’est son comportement qui a été inacceptable. On n’a jamais vu un chef d’état-major s’exprimer via un blog, ou faire du off avec des journalistes ou interpeller les candidats pendant la présidentielle, comme cela a été le cas. Il s’est comporté en poète revendicatif. »
Si ce n’est cette formule de « poète revendicatif » qui ne veut pas dire grand chose, le reste du raisonnement de Christophe Castaner tient la route. Il constate, comme nous il y a quelques jours, que ce n’est pas la fameuse sortie en commission parlementaire qui a posé problème mais l’ensemble de la campagne de communication menée par le général de Villiers: devant les élus, dans Le Figaro puis sur son compte Facebook à l’attention des troupes. L’officier savait très bien qu’il se lançait dans un bras de fer politique et stratégique avec l’exécutif, il n’en était pas à son galop d’essai. Et son message a été entendu par l’ensemble de l’opinion française.
Là où Christophe Castaner se trompe, c’est lorsqu’il s’étonne qu’un CEMA puisse avoir recours à de tels moyens pour faire entendre, voir imposer, ses attentes. C’est la même erreur que nous soulignions au sujet d’Emmanuel Macron il y a deux jours: l’exécutif semble préparer sa stratégie politique comme si les généraux français étaient incapables de faire de l’influence. Tous les grands officiers ont pourtant, et ce n’est pas nouveau, appris à ménager dans leur entourage une poignée de journalistes capables de relayer leurs messages. Et pas seulement des journalistes: des élus, des chercheurs, des personnalités…
Les officiers appelés à prendre de telles fonctions sont formés au plus haut niveau pour maîtriser les rouages des affrontements politico-médiatico-stratégiques. Tous passent par l’IHEDN où ils se constituent un solide réseau. Puis ils enchaînent commandement de grandes opérations et cabinets des autorités politiques. Dans le cas de Pierre de Villiers, cela implique une présence permanente aux côtés des Premiers ministre de 2004 à 2006, puis de 2008 à 2010, comme adjoint puis comme chef de cabinet militaire, avant de devenir CEMA de 2014 à 2017.
En réalité, la seule chose d’étonnante ou de choquante dans cette histoire, c’est que de hauts responsables politiques puissent découvrir que les généraux à la tête des armées… Sont des hommes d’influence très au fait des manoeuvres politiques.
Le coup de grâce?
Pour autant, Christophe Castaner ne fait pas forcément une faute majeure en reprenant ainsi la parole. En tout cas pas en termes de communication (on pourra trouver l’attaque discutable d’un point de vue moral et élégance). Le CEMA a en effet, en démissionnant, cramé sa dernière cartouche. Que peut-il faire de plus? S’épancher encore un peu dans les médias? La pratique serait déshonorante à ce niveau et n’entrainerait probablement pas beaucoup de résultats.
Du côté de l’institution militaire, l’image des applaudissements lors du départ du général de Villiers a déjà été remplacée par celles du président aux côtés des troupes. Une mise en scène qui fait ricaner dans la communauté défense, mais qui au sein d’une opinion publique plus large peut avoir son effet: Emmanuel Macron est comme chez lui au milieu des troupes.
Pour Christophe Castaner, il s’agit donc d’asséner le coup de grâce dans ce que certains ont décrit comme la première grosse crise du président Macron. En affligeant ainsi le général, il clos le débat en affichant la légitimité de l’exécutif. Qui pourra le contester à moins d’appeler à une insurrection que personne de sérieux ne souhaite? Le risque est limité: l’opposition ne peut pas plus instrumentaliser la polémique qu’elle ne l’a déjà fait et les militaires sont déjà refroidis pour de bon. Et pour ces derniers, le seul moyen de (re)gagner leur confiance sera de respecter les promesses du chef de l’Etat en augmentant le budget des Armées dès 2018.
A suivre.