Oh putain cette fois, c’était la guerre. En direct dans tous les salons de France et du monde. Les attaques de ces trois derniers jours ont été l’occasion pour les médias de hard news de nous faire une belle démonstration de la totalité de leurs travers: blabla inutile en plateaux, relais de rumeurs non vérifiées, divulgation de positions des forces de l’ordre et spéculations en tous genres. Quelques petites réflexions, toujours à chaud, très personnelles, sur la manière dont nous perdons parfois largement le contrôle.
- Remonter à la source, voir, soyons fous, la vérifier
Il y a des contextes où les informations sont difficiles à vérifier. Mais tout de même, au cours de ces trois jours, de nombreux médias sont tombés dans le panneau du suivisme en reprenant des éléments… sans toujours savoir d’où ils provenaient. Exemple dans la nuit de mercredi à jeudi avec la circulation du nom de Mourad Hamyd, suspecté d’être l’un des terroristes… mais qui s’avère être un lycéen de Charlevilles Mézières qui était en cours pendant la tuerie. A l’origine de « l’info », le journaliste Jean-Paul Ney diffuse un document non identifié avec le nom et la date de naissance de Mourad Hamyd. Des « sources gouvernementales » lui aurait transmis, a répondu ce personnage controversé au site d’information StreetPress. La toile s’embrase et, dans la nuit, la chose est commentée sur l’Est Républicain ou encore sur ITélé où l’on compare le jeune Mourad à Mohamed Merah car ils ont en commun… la pratique du scooter.
- Un terroriste, c’est méchant
Sur les plateaux télévisés, des spécialistes se sont relayés parfois pendant des heures pour commenter la situation. Alors évidemment, il peut être intéressant d’apporter des éléments de contexte pour patienter en attendant d’avoir des nouvelles des événements. On pourrait par exemple rappeler la situation en Irak, en Syrie ou, pourquoi pas, au Nigeria. Mais est-il vraiment utile de répéter comme des chèvres « les terroristes sont des malades, il faut les interner« , sans se poser plus de questions sur leur motivations et le phénomène…? Sans parler de ceux qui, dès jeudi matin, affirmaient un lien entre l’attaque de Charlie Hebdo et celle de Montrouge… avant que le moindre élément ne permette de valider cette thèse?
- Brouhaha 2.0
Les Internautes étaient très nombreux à commenter les événements. Là aussi, tout le monde reprenait des morceaux d’information ici et là. L’attaque du magasin kacher de Vincennes a fait l’objet du plus joyeux bordel: otages ou pas otages, morts ou pas morts… Chacun s’en donnait à coeur joie, reprenant à son compte le moindre propos le plus vite possible. Twitter et Facebook, permettant à chacun de devenir son propre média, reproduisent ainsi à l’infini les travers des chaînes de hard news: chaque personne voulant sortir son propre scoop au sein de son réseau, tout et n’importe quoi est relayé. Tant et si bien que les autorités sont obligées de spammer des avertissements en appelant à la prudence sur les informations relayées.
- Responsabilité
Depuis le drame, chacun se revendique d’être Charlie. Est-ce pour cela que, comme l’hebdo satirique, chacun s’est appliqué à devenir un « journal irresponsable »? Les chaînes de télévision, en particulier, n’ont cessé de montrer les positions de la police et de la gendarmerie. Pendant la traque et pendant les différents sièges, les terroristes étaient ainsi informés en temps réel des manoeuvres de leurs adversaires. Le droit à l’information ne doit pas faire oublier le risque que l’on fait courir aux gens que l’on suit et que l’on filme. France 2 et BFM TV ont ainsi été rappelés à l’ordre alors qu’ils filmaient parfois très directement les positions des policiers. Plusieurs coups de gueules de membres des forces de l’ordre ont été relayé sur les réseaux sociaux pour appeler les journalistes à un peu de modération. Le danger était pourtant bien réel: le troisième homme, Amedy Coulibaly, menaçait d’exécuter ses otages si l’assaut était donné sur ses deux compères dans la Seine et Marne… Patienter quelques minutes pour donner l’information de l’offensive du GIGN et laisser à leurs collègues du Raid le temps de se coordonner sur Vincennes aurait-il rendu l’information moins précieuse? Certaines rédactions l’ont fait.
- L’appel aux terroristes
Plusieurs médias, dont BFM TV et RTL, ont cherché à contacter les terroristes en passant des coups de téléphone dans les entreprises où ils étaient retranchés. Si l’on pourra discuter de la démarche, je la trouve pour ma part intéressante. Elle permet d’avoir la justification de ces hommes et de connaître leur message. Elle permet également, grâce à leur voix, leur ton, le choix de leurs mots, de comprendre comment ils se situent au coeur de leur action. Le média qui se veut neutre doit pouvoir chercher à récolter les avis des différents acteurs d’une crise ou d’un conflit, pour ensuite pouvoir les décrypter. Les rédactions en question ont d’ailleurs décidé d’attendre avant de diffuser ces documents.
Une pensée, enfin, pour les médias qui n’ont pas su retenir leur joie devant des audiences record. Un peu de retenue, là aussi, n’aurait pas été de trop…