Le drame qui touche le Nigeria semble avoir réveillé l’opinion internationale. En ligne derrière Michelle Obama herself, le monde s’inquiète soudain de ce qui se passe dans le nord du pays. Boko Haram y mène pourtant depuis une douzaine d’années de violentes actions destinées à instaurer sa suprématie. En lançant la campagne #bringbackourgirls, les personnalités occidentales espèrent attirer l’attention sur le sort des près de 200 lycéennes retenues par les fous de guerre islamistes du groupe nigérian. Le buzz marche plutôt bien puisque les happenings se sont multipliés un peu partout.
Mais voila, comme le remarquent certains, médiatiser ce type de rapts ne fait que donner de la visibilité aux kidnappeurs. Une médiatisation qui fait grimper la valeur des otages que le chef de Boko Haram, Aboubakar Shekau, propose désormais d’échanger contre des prisonniers. On le sait pourtant: les groupes terroristes cherchent à se faire médiatiser et les preneurs d’otage ont tout à fait intérêt à voir valoriser leurs prises. Ici, Boko Haram peut s’adresser très directement aux plus hautes autorités internationales.
Médiatiser pour forcer l’action
Médiatiser un tel drame a pour objectif de mobiliser l’opinion internationale et de pousser les gouvernements à agir. L’ONG Invisible children avait poussé cette logique à l’extrême, en 2012, en organisant toute une campagne publicitaire pour… Joseph Kony, le chef de guerre de la Lord Resistance Army (LRA), un groupe armé sévissant en Afrique centrale, particulièrement violent et méprisant de la vie humaine, connu notamment pour mobiliser des enfants soldats.
La campagne Stop Kony 2012 incitait, via une vidéo très efficace, à acheter des goodies Joseph Kony et à parler du personnage un peu partout. Un moyen de le rendre célèbre lui, mais aussi de faire connaître les horreurs commises par son groupe dans une région éloignée des préoccupations occidentales. Pour participer -et pour financer l’ONG qui aide les enfants soldats-, il était possible d’acheter t-shirts à l’effigie de l’horrible personnage, badges et autres affichettes.
En parallèle, l’ONG avait aussi cherché à mobiliser des personnalités publiques, comme Justin Bieber ou Oprah Winfrey, pour amplifier la mise en marche de l’opinion. Vidéo virale, campagne publicitaire et soutien de célébrités, les politiques, notamment plusieurs Représentants influents, n’avaient plus d’autre choix que de s’y intéresser. In fine, cette vaste campagne, qui avait beaucoup fait parlé d’elle à l’époque, a certainement participé à la décision de Washington de déployer des militaires pour appuyer les forces locales. La démarche n’avait pourtant pas été exempte de critique: une présentation très orientée de la situation sur place et la volonté de soutenir directement une intervention militaire avaient soulevé leur lot de voix discordantes.
#bringbackourgirls… mais pour quoi faire?
Mais ce qui faisait la force de la campagne Stop Kony 2012, c’est qu’elle était pensée. L’objectif était clair: pousser le gouvernement américain à déployer des forces pour neutraliser la LRA. La stratégie pour arriver à cet objectif était aussi parfaitement coordonnée et visait trois cibles: des célébrités, des élus, le grand public. La mobilisation de ces trois populations devait permettre d’assurer une pression maximum sur les décideurs. Il y avait donc un plan.
Qu’en est-il de #bringbackourgirls? L’objectif semble assez naïf: réclamer de Boko Haram d’abandonner son plus précieux butin semble parfaitement dérisoire. Il est très peu probable que les islamistes renoncent à ces jeunes filles qui sont pour eux la garantie de pouvoir recruter (via des mariages), échanger (contre des prisonniers) ou encore se protéger (dissuasion des forces nationales). Quel est donc le plan? Négocier? Payer? Forcer l’armée nigériane à intervenir? Dans quelles conditions, lorsque l’on sait la finesse dont elle est capable?
Quelle sont les cibles de l’opération de communication en elle même? L’opinion commence à se mobiliser pour défendre les jeunes filles… mais surtout sur Twitter. Il manque un élément qui était particulièrement pertinent dans la campagne Kony: informer pour convaincre. Cette campagne à grands coups de hashtags se contente en effet de réclamer des actions, sans que personne ne sache bien ce qu’est Boko Haram ou quelles sont les problématiques régionales liées à ces violences dans le nord du Nigeria. Plusieurs pays se sont malgré tout proposés de fournir, ici un conseil militaire, là quelques avions. A quelles fins… On ne sait vraiment. « Aider le gouvernement nigerian » ne veut pas dire grand chose. La poignée de drones mobilisée devrait pouvoir localiser les prisonnières. Et après? Libérer 200 otages est un véritable casse-tête tactique. L’aide proposée par les Occidentaux est-elle vouée à durer? Les conseillers envoyés par la France ont-ils comme mission de rester plusieurs années au Nigeria pour mentorer les forces nationales?
Il semble assez évident que toute cette campagne pêche par manque de plan. Sur un coup de tête, parti d’une réaction purement émotive, les uns et les autres ont aligné quelques brics et quelques brocs pour répondre à la soudaine exigence populaire. Mais que réclame-t-on exactement de nos gouvernements? A qui s’adresse Michelle Obama lorsqu’elle appelle à l’aide? Plutôt qu’un tweet adressé au vaste monde, n’aurait-elle pas pu envoyé un simple SMS à son mari qui est, rappelons-le, le chef des armées américaines? Les drôles de dames réunies à Paris au Trocadéro n’avaient-elles pas, de leur côté, des moyens d’accéder à des oreilles autrement plus attentives, à l’Elysée ou au Quai d’Orsay?
De telles campagnes soulèvent de nombreuses questions, tant sur le fond que sur la forme. Les avis restent partagés sur l’utilité de la médiatisation de prisonniers. Reste que certains mouvements semblent réfléchir à un plan d’action, plutôt qu’à une simple exhibition d’indignation collective. Stop Kony, qui a été l’une des campagnes les plus fortes de ce type, a atteint ses objectifs avec des méthodes particulièrement percutantes. Il n’empêche que Joseph et la LRA courent toujours… et eux ne bénéficiaient pas de 200 otages pour se protéger.