Dans un ouvrage sorti il y a quelques mois, Jean-Marc Gadoullet, ancien officier du Service Action de la DGSE, raconte en partie son parcours. « Agent Secret » est un livre qui est surtout destiné à régler quelques comptes et à faire planer quelques menaces suite aux polémiques en lien avec les otages au Sahel.
Espion ou journaliste?
Dans la première partie de son livre, Jean-Marc Gadoullet fait le récit de quelques unes de ses missions. L’une d’entre elles nous intéresse plus particulièrement : au Kosovo, il a accompagné et suivi Agim Seku, chef militaire de l’UCK. L’officier, alors clandestin, se fait passer pour un journaliste afin de pouvoir circuler librement dans cette zone de guerre. Il publie même des articles, sans dire pour quel média.
Les agents clandestins utilisent diverses « légendes », de fausses identités, pour pouvoir mener à bien leur travail de renseignement. Dans un ouvrage récent de Jean-Christophe Notin, plusieurs officiers de la DGSE expliquent se faire souvent passer pour des entrepreneurs. Un ancien officier français nous confiait récemment avoir croisé dans une zone de guerre un ancien camarade de Saint-Cyr… Qui se faisait alors passer pour un humanitaire, accompagné d’un « vrai » journaliste.
L’identité de journaliste est évidemment l’une des plus profitables pour les agents clandestins: les reporters ont l’habitude de se déplacer dans des zones de crise en passant régulièrement d’un camp à l’autre. Lorsqu’ils sont capturés, ils sont souvent libérés à terme par la plupart des belligérants. Les deux officiers de la DGSE capturés à Mogadiscio en 2009 par les shebabs somaliens se faisaient eux aussi passer pour des journalistes. Ils auraient été alors trahis par leur attitude et leur équipement.
Dans son témoignage, Jean-Marc Gadoullet raconte comment sa couverture lui a permis de finalement échapper aux Serbes. Capturé alors qu’il circule sans visa, ces derniers ont finalement cru à son récit. Sa propre interprète ignorait la réalité de sa mission, que seuls les cadres de l’UCK connaissaient. S’il est relâché… C’est parce que l’agence de presse pour laquelle il dit travailler existe bel et bien… Et que ses articles sont effectivement publiés en France. Rien ne permet donc de douter qu’il soit alors vraiment journaliste.
Journaliste ou espion?
Si Jean-Marc Gadoullet peut bénéficier d’une légende efficace, c’est parce que sa fausse identité de journaliste est crédible. Cela peut amener à se demander si chaque journaliste n’est donc pas, dans les faits, un espion au service de son pays. Il faut alors distinguer les agents clandestins qui se font passer pour des journalistes afin de mener à bien leur mission de renseignement… Et les vrais journalistes qui mènent une mission de renseignement au profit d’un service. Deux situations sont alors possibles.
La première, c’est le cas d’un journaliste qui utilise sa profession pour servir son pays, avec un statut de contractuel ou de réserviste. Nous avons croisé à au moins deux reprises de tels profils: des journalistes ayant pignon sur rue qui, en parallèle de leur métier, travaillaient pour deux services très différents. Leurs activités vont de la mission opérationnelle sur un théâtre de guerre à la surveillance dans un lieu relativement public en France. Sur ce type de profils, on pourra consulter l’expérience de Patrick Denaud, qui a fait son coming-out, ou de Roger Auque. Plus loin de nous, le célèbre Albert Londres proposait également ses services à des agences de renseignement…
La seconde, c’est le cas du journaliste qui accepte de donner des informations à un service de renseignement. Qu’il revienne d’une zone de conflit difficile d’accès ou qu’il ait accès à une source spécifique, le journaliste décide alors de donner des informations à un officier de renseignement. La motivation peut être idéologique (servir son pays, nuire à un groupe considéré comme odieux) ou utilitaire (échange d’informations).
Les journalistes se prêtant au premier cas évoqué sont très probablement peu nombreux. Cela enfreint en effet toutes les règles déontologiques propres à ce métier et rares sont les professionnels parvenant à faire la manœuvre intellectuelle allant dans ce sens. De plus, c’est souvent très mal vu par les confrères qui ne sont pas toujours dupes. Pour le second cas, un officier de l’armée de terre, spécialiste du renseignement, ironisait il y a une paire d’années ainsi à propos des relations entre armée et reporters: « Les journalistes? Ils ne sont en aucun cas un problème. Ce sont pour beaucoup d’honorables correspondants! » Un commentaire qui nous parait tout de même très largement exagéré.
Un danger pour les journalistes
Qu’il s’agisse de journalistes franchissant la ligne rouge ou d’agents clandestins adoptant de telles légendes, ces pratiques sont un véritable danger pour les professionnels de l’information. Cela sème en effet le doute dans les esprits en laissant penser que n’importe quel reporter peut en réalité être un espion en puissance.
Ce risque est observé par les belligérants. L’année dernière, les juristes du Pentagone avaient ainsi souligné qu’il était possible que des journalistes soient en réalité des agents de renseignement. Cela avait suscité une forte indignation dans la profession. Dans un autre registre, les djihadistes de l’Etat islamique ont parfois soupçonné ou accusé des journalistes d’être des espions.
Les doutes peuvent aussi être instrumentalisés par des acteurs qui ont intérêt à décrédibiliser les journalistes. C’est le cas des autorités turques en ce moment, qui veulent empêcher tout reporter de suivre les Kurdes et les empêchent de travailler sous peine de les arrêter au motif d’espionnage. Ca a aussi été le cas de Thierry Meyssan, désinformateur notoire, qui expliquait pendant l’intervention de l’Otan en Libye que les équipes de télévision occidentales étaient en réalité composées d’agents de renseignement et de membres des forces spéciales…