« Pourriez-vous empêcher un attentat en signalant un statut Facebook? » C’est la question que pose l’armée israélienne sur ses différents supports de communication à la mi-janvier 2016 (ici en français, là en anglais). Tsahal y défend l’idée que de la vigilance des Internautes sur les réseaux sociaux pourrait permettre d’éviter des drames. « Les forces de sécurité ne peuvent pas faire grand chose pour identifier ces individus en avance, rendant ces attaques terroristes très difficile à prévoir, peut-on lire dans le message en français. Les assaillants postent souvent sur les réseaux sociaux avant de mener ces attaques. Est-ce que repérer ces statuts suspects peut empêcher des futurs attentats ? Est-ce que Facebook et Twitter peuvent nous aider à sauver des vies ?«
L’armée israélienne répond par l’affirmative à la question en citant plusieurs exemples. Mahdi Akas, Muhannad Halabi, Bassim Nassan et Kasem Sabam sont quatre jeunes Palestiniens accusés d’avoir mené des attaques au couteau contre des militaires ou des civils israéliens, parfois avec un résultat meurtrier. Tous ont diffusé sur leurs profils Facebook des éléments qui auraient pu alerter sur leurs intentions, parfois juste avant de passer à l’action. Dés 2013, une situation semblable avait déjà été signalée par les militaires israéliens.
Tsahal suggère ainsi qu’au dela de Facebook et Twitter, ce sont les Internautes qui pourraient sauver des vies et combattre le terrorisme en identifiant ce genre de signaux. L’armée israélienne, si elle parvient à mobiliser la communauté sur les réseaux sociaux, pourrait ainsi bénéficier d’autant d’informateurs à l’affut du moindre signal faible de radicalisation chez des individus potentiellement (ou pas.) dangereux. L’avantage: un nombre de paires d’yeux démultiplié. L’inconvénient: une ambiance délétère de délation qui peut vite aboutir à une multitude de dénonciations calomnieuses. Dans tous les cas, l’armée gagne à sensibiliser le public et à lui inculquer une culture de la surveillance qui ne peut que servir ses objectifs.
Mieux, l’armée israélienne n’aura pas spécialement besoin de déployer les ressources humaines nécessaires au traitement de ces signaux faibles. C’est souvent l’un des défis dans les services de renseignement : faire le tri dans tous ces petits indices pour prioritariser les efforts à fournir pour positionner des moyens sur la cible. Là, ce sont les équipes de Facebook et de Twitter elles-mêmes qui devraient faire ce premier tri. Au pire, de la propagande hostile à Israël est effacée. Au mieux, des suspects sont identifiés et signalés aux forces de sécurités israéliennes. Les deux entreprises américaines devraient être d’autant plus attentives qu’elles sont sous pression d’un intense lobbying israélien qui les accuse de laisser en ligne des incitations à la haine.
Mobiliser la communauté, une tendance israélienne
L’armée israélienne a rapidement innové sur les usages de réseaux sociaux dans les conflits. A l’origine, le gros des démarches est tourné vers un effort de communication d’influence. Cette tendance est devenue massive en novembre 2012, au moment de l’opération Pilier de Défense qui avait pris pour cible des cadres du Hamas à Gaza. Tsahal avait alors inondé les réseaux sociaux de messages particulièrement efficaces, destinés à démoraliser l’adversaire, à encourager les troupes ou encore à convaincre les opinions publiques internationales. Les militaires, dont plusieurs cadres de réserves étaient issus du monde de la communication, avaient bien calculé leur coup : la campagne d’influence avait été largement relayée par les Internautes et avait occupé les médias en conséquence… Les détournant ainsi des sujets qui fâchent.
Le pari était pourtant osé puisque l’armée israélienne avait jusque là eu pas mal de déboires avec les réseaux sociaux. Jusqu’à cette campagne, les discours officiels visaient surtout à sensibiliser les soldats aux risques liés à ces outils. Les craintes portaient sur l’exposition de clichés montrant des dérives, comme les violences faites à des prisonniers palestiniens ; ou à l’infiltration d’agents ennemis, comme le cas du profil Facebook Reut Zukerman qui avait créé un lien virtuel avec de nombreux soldats et réservistes, avant de s’évaporer… Laissant planer les soupçons sur une opération du Hezbollah. Enfin, la peur de voir des projets de mission fuiter était omniprésente.
A partir de 2012 pourtant, la logique de cette utilisation massive des réseaux sociaux se stabilise. Les Israéliens ont compris que ces outils pouvaient permettre de démultiplier les effets de certaines opérations. Avec une pédagogie adaptée, Tsahal a estimé que malgré des effets négatifs inévitables, les effets positifs étaient largement plus conséquents et que la balance, en termes de résultats, était clairement intéressante. La communication, donc, était une évidence. Le renseignement ne pouvait que suivre. Cette dynamique tend d’ailleurs à recouper d’autres initiatives en matière de mobilisation des Internautes, issues notamment de la société civile (voir par exemple les travaux de recherche et d’analyse en open source des différents membres de BellingCat). Reste à voir si elle peut fournir des effets concrets.