L’arrestation du général (er) Christian Piquemal à Calais ce samedi a provoqué l’ire de nombreux Internautes. Les médias ont largement relevé que les militants très à droite étaient en pointe sur le sujet. En réalité, on voyait également la question soulevée massivement dans les réseaux militaires, y compris par des gens qui ne sont pas spécialement proches de l’idéologie défendue ce week-end par l’officier. Tous s’insurgeaient non pas de l’incident en lui-même, mais de l’arrestation de l’officier. Peu importe alors le contexte.
Samedi, le général Piquemal prenait la tête d’une manifestation interdite par les autorités du fait de l’Etat d’urgence. Le projet de ce rassemblement répondait à un appel du parti allemand Pegida, qui poussait tous les Européens à marcher contre « l’islamisation de l’Europe ». Le général Piquemal et son Cercle de citoyens patriotes ont décidé de braver l’interdit et de manifester quand même. Après avoir organisé leurs discours dans une salle de spectacle à 20km de Calais, puis avoir continué à haranguer la foule dans la ville, ils seront finalement dispersés par la police.
Le général, ainsi qu’une vingtaine de personnes, seront interpelés pendant les heurts avec la police. L’officier parce qu’il était le principal organisateur de la manifestation, les autres pour divers motifs. Quatre de ses camarades portaient sur eux diverses armes (poing américain, tazer, cutter) dont on peut douter de l’utilité dans une simple manifestation. Parmi les slogans affichés -sans compter quelques saluts nazis-, on relèvera quelques exemples de ce que défendent Pegida et ses affidés : « islam dehors« , « refugees not welcome » ou encore « migrants dehors ». Des revendications qui mélangent allègrement religion, réfugiés (qui ont donc le droit, légalement, de demander l’asile) et migrants (dont beaucoup sont dans des situations invérifiables/illégales). Tout ce petit monde doit rester à la porte de l’Europe (sans distinction de statut ou d’origine) car, explique le général, ils pourraient causer des problèmes plus tard notamment en devenant des terroristes. Au delà de l’inquiétude légitime, en particulier dans le cas de Calais où la situation est spécifiquement tendue depuis vingt ans, le projet de Pegida se retrouve dans les dérives de son principal fondateur, l’Allemand Lutz Bachmann, épinglé par la presse après que des photos de lui déguisé en Adolph Hitler soient sorties. Le général Piquemal se retrouve ainsi sur la ligne de cet ancien braqueur (ça ne s’invente pas…) qui n’hésite pas à comparer les étrangers à du bétail.
Milgram et le général
Pourquoi un tel remue-ménage autour de cette énième manifestation d’identitaires d’ultra-droite à la recherche de boucs-émissaires? Tout simplement parce que le général Christian Piquemal n’est pas n’importe qui. Cet ancien commandant de la Légion étrangère, qui a servi dans les cabinets de Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy, a derrière lui une glorieuse carrière marquée par les opérations extérieures. L’officier, aujourd’hui à la retraite, est resté un homme influent notamment à travers l’Union nationale des parachutistes (UNP) qu’il a présidé pendant une dizaine d’années. On notera également que l’homme est resté marqué par le putsch des généraux, les événements d’Alger colorant son cursus à Saint-Cyr.
Alors l’homme a de l’autorité, beaucoup d’autorité. Et comme l’ont montré les expériences de Milgram, face à l’autorité, la majorité des gens sont tentés de se laisser déresponsabiliser et d’obéir à celui qui incarne la légitimité. S’il n’y a pas besoin d’une figure forte, plus celle-ci est crédible, et plus l’on est tenté de marcher sans questionner. En politique, celui qui a fait la preuve de sa légitimité est plus convaincant. On reproche souvent aux élus de ne pas connaître le monde de l’entreprise par exemple, ou, dans le cas qui nous intéresse ici, celui de la défense du pays. Le général Piquemal, lui, sait.
Tant pis si le général multiplie les propos les plus démagogiques possibles, regrettant par exemple que les gendarmes ne se soient pas mis au garde-à-vous lorsque les manifestants ont chanté la Marseillaise (on croit rêver : ce serait sacrément pratique, s’il suffisait de chanter l’hymne national pour faire céder un cordon de policiers…!). Peu importe que cet ancien défenseur de l’ordre et de l’Etat français se retrouve aujourd’hui à estimer qu’il suffit de se contenter de sa parole d' »homme d’honneur » pour le laisser organiser sa manifestation malgré les lois (rappelons que des hommes dans son groupe étaient armés). Tant pis s’il laisse entendre que les migrants pourraient être de potentiels terroristes en ne se reposant que sur des doutes, et pas sur des preuves ou du concret. La peur comme moteur de la mobilisation pour canaliser les colères vers une cible unique : l’étranger.
Le général est d’autant plus crédible dans son rôle d’autorité qu’il est militaire. Or en France, les citoyens attribuent depuis des années un taux particulièrement élevé de confiance aux armées. Dans l’opinion général, les soldats sont des gens à qui on peut faire confiance. Entre abnégation et fidélité, on ne doute pas qu’ils seront toujours là pour défendre nos valeurs et notre sécurité. Alors si le général s’insurge ainsi, on serait bien tenté de le croire. D’autant plus que la parole publique des militaires (leur obligation de neutralité leur interdit d’exprimer leurs opinions politiques, religieuses et philosophiques) est suffisamment rare pour rendre celle-ci particulièrement visible.
Ceux qui en profitent
L’extrême droite française a largement profité de l’incident. Les principaux responsables du Front national ont ainsi dénoncé l’arrestation « brutale » de ce « héros » qu’est le général Piquemal. Même si parler de brutalité est, au vu des images, largement exagéré. Une récupération d’autant plus intéressée qu’elle évite d’évoquer le mouvement dont l’ancien officier est proche et qui pourrait concurrencer le quasi-monopole du FN. Le Bloc identitaire s’est lui aussi précipité sur l’occasion pour faire entendre sa voix, rebondissant sur le rejet de l’islam en Europe. Ces différents groupes s’approprient ainsi un porte-voix d’une rare qualité qui n’est pourtant pas affilié à leurs partis respectifs.
Au delà de l’échiquier national, cet événement n’est pas passé inaperçu… chez les Russes. Les médias d’influence de Moscou, à l’affut de toute information sulfureuse leur permettant de décrire le chaos calaisien et la menace des immigrés, ont largement relayé l’incident (Sputnik ici, Russia Today là). Là aussi, le général Piquemal passe pour la victime d’un Etat dictatorial, sans que le contexte législatif ne soit jamais pris en compte. Cet autre article de Russia Today est particulièrement intéressant puisqu’il affirme que la droite française est « scandalisée », citant en exemples Marine Le Pen (FN), Gilbert Collart (FN), Stéphane Ravier (FN), Robert Ménard (sans étiquette) et Thierry Mariani (LR). On pourra s’étonner de découvrir sur le média russe une droite nationale… Beaucoup plus à droite que ce que nous connaissons.
Enfin, la blogosphère la plus réactionnaire a largement relayé le message. L’arrestation du général est un exemple inespéré de la culpabilité des autorités et du besoin de lutter fermement contre un envahisseur d’autant plus crédible qu’il est pointé du doigt par un militaire de haut niveau. Du pain béni pour ceux qui rêvent d’en découdre. Riposte laïque appelle à la mobilisation. Même chose pour TV Libertés qui s’insurge sur Facebook du traitement réservé à l’officier et aux « quatre autres manifestants anti invasion migratoire ».
Un contexte propice
Devant les caméras, le général Piquemal s’est adressé directement aux gendarmes : « Je sais que vous êtes obligés d’exécuter les ordres (…). On n’est pas des voyous, des crapules. » Il dénonce l’attitude de ses « frères d’armes ». Certainement frustrant pour des forces de l’ordre particulièrement éprouvées par l’abandon des autorités politiques et par les difficultés rencontrées au quotidien alors qu’ils se retrouvent à faire tampon entre les uns et les autres. L’un d’eux lachera ainsi, malencontreusement devant une caméra de Canal + (extrait diffusé le 8 février à midi), son regret : « on est dans le même camp« , assure-t-il à un militant.
Les militaires, de leur côté, ont subit de nombreuses vexations et frustrations depuis quelques années. Emplois réduits à coups de hache sans grande visibilité médiatique, retards de paiement (voir système Louvois), rythme de travail toujours plus intense… Ils peuvent ainsi voir dans le général un porte-voix nouveau qui leur ressemble. D’autant plus que cette population reste particulièrement sensible aux idées de l’extrême-droite.
Dans l’actualité, Calais est également marqué par de réguliers appels des élus locaux à l’aide de l’armée. Les militaires passent pour les sauveteurs en dernier recours, même si leur formation et leur équipement ne sont pas d’une grande utilité pour gérer des flux de réfugiés. L’image et le symbolisme sont là et paraissent d’autant plus forts que le gouvernement ne parvient toujours pas à mettre en place les outils nécessaires à la gestion des migrants.
Le vide politique et organisationnel qui entoure le phénomène, à Calais et ailleurs, laisse un boulevard aux idéologues les plus suspects. La question des migrants est particulièrement complexe, comme cela est régulièrement expliqué. Face à la frustration, voire au désespoir de riverains excédés, la facilité de la réponse proposée par les mouvements identitaires les plus stigmatisants séduit. D’autant plus lorsqu’elle parvient à mobiliser d’aussi grands personnages que le général Piquemal. La mauvaise gestion de tout cela donne en tous les cas une tribune inespérée à un général qui n’avait réussi à mobiliser que 150 recrues. Combien s’engageront sur son front dans les jours qui viennent?