Nous sommes en 2002. Le Pentagone et la Maison-Blanche préparent assidûment l’intervention en Irak. Bien sûr, on attend alors les preuves que Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive. On attend que les Nations unies se prononcent. A Washington, on attend également que Paris et Berlin cessent de jouer les insurgés et se rangent derrière la très sainte coalition contre « l’Axe du Mal ». Et évidemment, on prépare un plan média pour optimiser la communication opérationnelle.
Pour les journalistes qui veulent couvrir l’intervention militaire des Etats-Unis, il faut suivre un stage dans l’un des « Embed boot camps« . Quatre camps de formation ont été ouverts aux Etats-Unis pour préparer les reporters. Que du positif: formation tactique, initiation au jargon militaire, premiers secours… On apprend aussi et surtout aux journalistes à s’intégrer sans problèmes dans les groupes de combat.
Le journaliste va par exemple apprendre à descendre d’un hélicoptère, sous le feu ennemi, avec un sac de 11kg. Il est systématiquement équipé d’un gilet pare-balles et d’un casque. Dans l’attente de leur futur déploiement en Irak, ils partagent tout avec les soldats qu’ils accompagnent: ils mangent ensemble, dorment ensemble, souffrent ensemble, dans les mêmes uniformes.
A l’époque, la critique de cette pratique est peu répandue. Au contraire, nombreux sont les médias à voir dans cet entraînement anticipé la promesse d’une couverture facile du conflit. Le souvenir de l’Afghanistan est dans tous les esprits: en 2001, les journalistes peinent à raconter ce qui se passe dans ce pays, devant se contenter des déclarations du Pentagone ou d’aventures risquées en passant par les différentes frontières du pays. On reproche alors régulièrement à l’armée américaine de faciliter une guerre sans images.
Stockholmisation
Tout aussi pervers, les journalistes sont formés à l’appréhension d’attaques chimiques, biologiques ou bactériologiques. On les entraîne à revêtir des tenues isolantes dans les temps. Alors que Washington cherche encore à prouver que Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive, les reporters sont habitués à l’idée que c’est effectivement le cas.
Progressivement, les critiques s’élèvent et questionnent un possible syndrome de Stockholm chez les journalistes qui accompagneront les forces américaines. Ils seront 600 reporters à participer aux premières phases du déploiement. Certains parviendront à s’imposer un recul certain sur ce dont ils sont témoins, conscients de n’avoir qu’une vision restreinte du conflit. La plupart raconteront la guerre des boys américains. L’Irakien n’est plus qu’une notion vague, lointaine. Le soldat, lui, est un héros qui affronte une aventure éprouvante et noble. Dans la foulée, un important courant de critique du journalisme embarqué naîtra dans les universités et les médias, un peu partout à travers le monde, questionnant les travers et les limites d’une telle approche.