Dans un documentaire intitulé « Propaganda – La fabrique du consentement », Arte dresse un tableau particulièrement sombre de cette discipline. Mêlant indifféremment propagande de guerre, publicité et relations publiques, l’amalgame de pratiques pourtant distinctes ne peut qu’inquiéter.
Le propos part des travaux d’Edward Bernays, l’un des penseur de la propagande, des relations publiques et de la publicité du milieu du XXème siècle. Celui-ci, très inspiré par les travaux de Freud et par les théories de Gustave Le Bon sur la psychologie des foules, voyait dans la propagande un moyen de manipuler les opinions publiques pour les amener à suivre les choix de tel gouvernement ou telle entreprise privée. Edward Bernays avait une conception particulièrement utilitariste des sciences sociales.
Les auteurs de ce documentaire estiment que propagande et relations publiques ne sont qu’une seule et même chose. Edward Bernays n’aurait finalement fait que changer le nom de la pratique, pour faire oublier les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Rapidement, la publicité est associée à l’ensemble. Le glissement vers la communication se fait même, sans explication, sur la seconde moitié du documentaire.
Les spécialistes interviewés nourrissent pour la plupart cette lecture monochrome et simpliste. Noam Chomsky, en particulier, livre sa conception caricaturale du sujet. Pour lui, la communication et la propagande sont une même chose dès lors qu’elles servent un acteur de pouvoir, qu’il soit public ou privé. Surtout s’il s’agit des Etats-Unis. L’historien Stuart Ewen a lui aussi poursuivi ses travaux sur les médias dans une logique aussi politique qu’idéologique. Or il n’est nulle part précisé l’engagement de ces deux universitaires.
Seule voix qui aurait pu être réellement dissonante sur ce sujet et apporter un peu de perspective, Shelley Spector, communicante et fondatrice du musée des relations publiques, ne parvient pas à sortir d’une vision caricaturale.
La question de la communication (voir de la propagande) est pourtant l’objet de nombreux débats. Ici, les auteurs laissent par exemple entendre que les opinions publiques sont manipulables à souhait, suivant la logique de Le Bon et Bernays. Les chercheurs sont pourtant partagés sur le sujet et sont nombreux à estimer que le public développe des barrières aux messages qui lui sont adressés. De même, les relations publiques sont marquées par de nombreux débats sur l’éthique, les outils et les méthodes qui sont acceptables ou non.
Peut-on réellement mettre sur un même plan la propagande de guerre de la Première Guerre mondiale, qui repose sur des mensonges destinés à nourrir la haine de l’ennemi allemand ; la stratégie d’image du président Eisenhower qui doit contribuer à le faire apprécier de son électorat ; et les stratégies de lobbying et de falsification scientifique de l’industrie du tabac? Le parti pris me paraît… Des plus discutables.
Trop contemporains ces débats ? Les puissants du début du XXème siècle les auraient-ils ignorés, tout occupés qu’ils étaient à chercher comment diriger les masses ignares et obéissantes qui se ruent en masse vers les cinémas ? C’est oublier un peu vite ceux qui déjà du temps de Bernays s’opposaient à ces logiques liberticides, tel le philosophe John Dewey qui fût en pointe en proposant comme riposte à la propagande une meilleure éducation aux médias. La propagande, menteuse absolue : là aussi, le refrain est facile… Mais même Joseph Goebbels préférait faire reposer sa propagande sur des vérités mises en forme pour servir son récit, ne distillant les mensonges qu’en infimes quantités.
Résumer l’histoire de la propagande aux travaux de Bernays tels qu’ils sont compris par Chomsky, c’est aller bien trop vite. Le mot lui-même apparaît d’ailleurs en 1622, bien avant d’être utilisé par le publiciste américain. Il veut alors dire « action de propager, en toute légitimité, des croyances religieuses » (Breton, 2009). En 1790, on y ajoute les « idées politiques« . Si l’on se met plus tard à développer des concepts comme la communication institutionnelle ou politique, comme les relations publiques, comme l’influence ou l’action psychologique, c’est justement parce que la notion de propagande est trop réductrice.
En adoptant une approche aussi simpliste, le documentaire d’Arte n’aide pas à saisir les enjeux qui se cachent derrière l’histoire de la propagande. Alors que nous reparlons de désinformation et de manipulation politique, il est pourtant crucial de ne pas s’arrêter à de telles caricatures.
Le documentaire est accessible ici: