Ces dernières années, deux articles académiques ont souligné les spécificités de la communication des cartels mexicains. Impliqués dans une véritable guerre, ces organisations criminelles ont développé une propagande originale, particulièrement violente, destinée à terroriser ses cibles.
Vous pouvez consulter gratuitement l’article de Howard Campbell en cliquant ici.
Vous pouvez télécharger l’article d’America Y. Guevara en cliquant ici.
« Une étude anthropologique de la narco-propagande menée par les « cartels » de la drogue mexicains suggère que, plutôt qu’une forme de comportement criminel, nous avons une expression quasi-idéologique d’organisations criminelles qui, avec leurs alliés politiques, policiers et militaires, contrôlent de vastes territoires et ont pris de nombreuses fonctions étatiques. »
Howard Campbell
Au Mexique, les divers cartels ont commencé à développer en parallèle de leurs activités criminelles une stratégie d’influence qui vise plusieurs publics. Elle est destinée à terroriser les organisations ennemies, qu’il s’agisse d’autres cartels ou des forces de sécurité. Plus largement, elle touche l’ensemble de la population.
« La « narco-propagande » est une forme de communication centrale dans la culture des cartels mexicains, écrit Howard Campbell. Elle est apparue dans le contexte récent de violence intra et extra-cartels/gouvernement. Elle est similaire aux méthodes employées par les groupes terroristes du Moyen-Orient, influencée par des tactiques paramilitaires utilisées ailleurs et se sert des tendances en matière de communication numérique. »
Ce que cet auteur qualifie ici de propagande relève plus largement d’une stratégie globale, que l’on appellerait stratégie d’influence ou communication stratégique. Elle repose en effet sur une multitude de médias et d’actions, coordonnés entre eux pour amener les cibles à adopter des comportements spécifiques.
Les vecteurs de la « narco-propagande »
Howard Campbell identifie cinq vecteurs spécifiques, utilisés par les cartels mexicains pour faire passer leurs messages, que l’on retrouve entre les lignes chez America Y. Guevara.
- L’organisation spectaculaire de la violence
Les membres des cartels violent systématiquement l’intégrité des corps de leurs victimes. Chacune a un sens spécifique : un doigt coupé dénonce une « balance », la langue un informateur, les mains un voleur… Tout un vocabulaire propre a émergé pour qualifier les différentes tortures pratiquées par les cartels. Les corps sont ensuite exposés pour être visibles du plus grand nombre. Ils organisent également des déplacements visibles en convois, lourdement armés, arborant les insignes des différents cartels.
- Communiqués et symbolique distinctive
Les cartels publient régulièrement des communiqués, notamment sous la forme de bannières ou de graffitis affichés sur des lieux de passages. Les messages peuvent être variés : affirmer le refus de tuer des femmes, des enfants et des innocents (cartel de Sinaloa) ; ou encore promettre des bons salaires aux anciens militaires pour les recruter (Zetas). Un autre exemple : la signature des meurtres, avec des cartes expliquant les raisons qui les ont motivés et l’organisation qui est derrière.
- Vidéos, messages numériques
La toile mexicaine est littéralement envahie par la violence des cartels. Ces derniers y diffusent massivement des vidéos dans lesquelles ils montrent leurs tortures et leurs assassinats, jusque dans les détails les plus sordides. Les plateformes les plus plébiscitées sont les sites dédiés, les blogs et Youtube. Facebook est pour l’instant moins employé.
- Contre-culture dédiée
Les cartes ont développé une contre-culture qui leur est propre. Elle s’illustre en particulier via une scène musicale particulière, le « narcocorridos », qui valorise la violence, la misoginie et romantise les actes des cartes. Ce style est d’ailleurs apparu dans des séries américaines parlant de ce sujet comme El Chapo ou Breaking Bad. Certains cartels ont même inventés leurs propres saints (Jésus Malverde et La Santa Muerte) et des rituels religieux propres.
- Contrôle et censure de l’information
Les cartels ont tellement pris pour cible les journalistes pour les empêcher de faire leurs travail que la plupart des médias a renoncé à couvrir ce sujet. Le Mexique reste l’un des pays qui compte le plus de victimes au sein de cette profession. Régulièrement, des commandos kidnappent, menacent voire torturent des journalistes pour les obliger à diffuser leurs messages.
On relèvera par exemple cet éditorial publié dans le principal journal de Ciudad Juârez : « Nous sommes des professionnels de l’information, nous ne lisons pas dans les esprits. Nous avons besoin que vous nous disiez ce que vous voulez de nous, quel est votre but, ce que nous devrions publier ou non… Vous êtes, actuellement, les autorités de facto de cette ville. »
Les cibles
- Les organisations ennemies
Le gros de ces campagnes d’influence vise d’abord les cartels ennemis et les forces de sécurité non contrôlées. La terreur de l’ennemi ou de l’adversaire est au coeur du message porté. Nous l’avons vu, il fonctionne tout particulièrement dans le cas de la presse qui a du renoncer à faire son travail.
On peut s’interroger sur l’efficacité de certains des propos tenus, revendiquant les vengeances et multipliant les provocations. La terreur parvient-elle à dissuader les ennemis de rendre les coups ? Le niveau de violence semble montrer le contraire.
- La population
La population s’est majoritairement désintéressée des enjeux liés aux cartels et évite de croiser son récit. Une partie des Mexicains est pourtant particulièrement intéressante : les « Ninis », des jeunes précaires qui ne travaillent pas et n’étudient pas. Recrues potentielles, ils sont tout particulièrement visés par la mise en scène romantique portée par la contre-culture spécifique des narcos.
America Y. Guevara confirme que « le dernier objectif du crime organisé mexicain est d’influencer la société et le gouvernement à leur avantage ». Le récit général, notamment dans sa forme, permet de neutraliser toute forme de résistance au sein de la population, en imposant une terreur maximale.
Contre-propagande gouvernementale
America Y. Guevara s’est de son côté également penchée sur la contre-propagande du gouvernement. Ce dernier tente de résorber la production des narcos en contrôlant les différents médias, en affichant sa politique de protection des témoins et en multipliant les actions militaires « coups de poing ».
Les campagnes de l’Etat restent cependant très majoritairement réactives. Elles répondent aux actions des cartels, sans parvenir à développer un récit indépendant, capable de mobiliser les publics visés : les narcos ne sont pas plus enclins à renoncer au combat et les populations ne sont pas rassurées.