«Amis Internautes, l’heure est grave. C’est au tour de Jean-Yves Le Drian de s’en prendre au mouvement de la quenelle. […] Ce cuistre inconsistant aurait convoqué le chef d’Etat-major de l’armée de terre pour sanctionner deux de nos valeureux soldats français coupables d’avoir effectué une quenelle devant une synagogue. Aux yeux du pouvoir, le geste de la quenelle serait donc un geste criminel. […] Soutien à l’armée française. […] Quenelle dans ton cul Le Drian !»
C’est triomphant que l’humoriste résume à sa manière une improbable mésaventure médiatique de l’armée de terre. Deux soldats du 13ème bataillon de chasseurs alpins ont eu la bonne idée de se prendre en photo en train d’exécuter le geste référence du comique controversé. La fameuse quenelle, dont l’auteur laisse planer le doute quant à la signification, entre référence au salut nazi, et provocation de l’ordre du bras d’honneur, met les deux militaires dans de beaux draps. Convoqués par leur hiérarchie, ils doivent être sanctionnés. Leur attitude a rapidement été qualifiée d’«inappropriée» sans que la référence «antisémite» ne puisse être prouvée.
Dans la foulée, c’est un déferlement de provocations qui suivent la condamnation des deux petits malins. Des pompiers, des policiers, des gendarmes et des militaires de toutes les armées et de toutes les armes envoient des photos de leurs quenelles, en soutien de leurs camarades. Certains photos viennent même de théâtre d’opérations extérieurs.
L’influence de la quenelle
Si l’humour noir, parfois mêlé d’indélicatesses politiques, de Dieudonné, irrite une partie du public, l’amuseur continue aussi de faire rire de nombreuses personnes. Sa quenelle est devenue symbole de provocation et de rejet de certains à priori du système majoritaire. Plus qu’un geste antisémite, la quenelle est une blague potache perçue comme clairement irrévérencieuse. On l’a fait par goût pour l’interdit plus que par revendication politique.
Dans un article sur le site Slate, Jean-Laurent Cassely relevait ainsi l’incroyable influence des quenelles de Dieudonné. Des stars comme le chanteur Yannick Noah ou le basketteur Tony Parker, le footballeur de Montpellier Mathieu Deplagne pour célébrer un but le 23 janvier dernier, les acteurs de Plus belle la vie ou encore les vedettes de Secret Story, nombreux sont ceux qui ont discrètement glisser des quenelles par goût de la provocation.
Une influence efficace de l’humoriste qui gagne en notoriété et en visibilité chaque fois qu’une institution, un organisme public ou des esprits bienveillants s’insurgent face au geste obscène. Faut-il croire que les personnalités qui se sont amusées de la manoeuvre revendiquent publiquement un antisémitisme latent ? On peut en douter aussi bien dans le cas de Yannick Noah, chouchou des Français, que dans celui de nos deux chasseurs alpins.
S’insurger face au potache, est-ce la bonne réponse ?
La sanction encourue par les deux militaires n’est pas encore connue. Mais l’importance donnée à ce non-événement est produit des conséquences en terme d’image. L’exemplarité de la réponse, réclamée aux plus hauts niveau de l’armée, n’est pas à la hauteur de la symbolique du geste. Les responsables de l’armée auraient gagné à minimiser la gravité des faits et à faire un peu de pédagogie dans les rangs: rappeler aux hommes que ce type d’exhibition, en uniforme, n’était pas du meilleur effet, aurait certainement eu autant d’efficacité. Certains auraient compris le message, d’autres auraient poursuivi dans la connerie. Mais auraient-ils été aussi nombreux à bombarder leurs supérieurs de quenelles photographiées en soutien à leurs camarades?
Si l’on part du principe que la plupart des militaires exécutant ce geste n’ont pas conscience du caractère antisémite de celui-ci, une simple explication aurait certainement permis de couper court à la pluie de quenelles. Si l’on part, au contraire, de l’idée que les auteurs revendiquent une telle idéologie, alors le problème est fondamentalement beaucoup plus grave et réclame des mesures autrement plus profondes dans nos armées que le rappel à l’ordre de deux soldats.
Le manque de recul du politique et de la hiérarchie militaire, dans cette affaire, ne sont pas sans rappeler le fameux «masque glaçant». En janvier dernier, une photographie d’un légionnaire au Mali portant un masque à l’effigie d’une tête de mort agitait brièvement quelques médias, sans la moindre réaction populaire. Plus tard, le photographe précisait que le militaire n’exhibait pas cet attribut en mission mais se protégeait simplement des poussières soulevées par un hélicoptère, dans un camp tricolore. Plutôt qu’un rappel à l’ordre discret pour rassurer les mieux-pensants, la hiérarchie a préféré sortir le grand jeu et rapatrier le soldat qui n’avait certainement pas mesuré les conséquences du port d’une telle écharpe. Une mesure qui avait été très mal accueillie au sein de la communauté militaire et de ceux qui avaient suivi le dossier, s’irritant du traitement réservé au fameux «masque glaçant»… tandis que la majorité des Français ne manifestait pas le moindre émoi pour la chose.
Tout cela nous amène à penser que, vu comme cette affaire est prise en main, le pouvoir de la quenelle s’avère particulièrement glaçant…