Le site de Voice of America s’est interrogé sur le déclin de la propagande produite par Furat Media (al-Furat), branche communication russe de l’Etat islamique (EI). La journaliste Fatima Tlis a consulté plusieurs experts et organismes afin d’avoir leurs avis sur le sujet et la majorité constate une baisse des activités de Furat Media (exception notable du précieux SITE, qui ne voit pas de changement).
Selon les différentes personnes interrogées, on relève des indicateurs techniques et organisationnels des difficultés de Furat Media. La production de contenus en ligne, en langue russe, aurait ainsi baissé ces dernières semaines en volume et en qualité. La plupart des documents qui sont postés désormais sont en réalité des traductions de productions arabophones, là où Furat Media avait l’habitude de réaliser ses propres contenus.
Sur le fonds aussi, la situation évolue. Les messages visent de moins en moins à convaincre les volontaires de rejoindre le djihad armé de l’EI, pour au contraire insister sur le combat en cours mené par les « vrais musulmans » à Mossoul. Les contenus diffusés par Furat Media ne célèbrent plus l’Etat islamique en tant qu’entité viable et aboutie, mais en tant que martyr acculé prêt à se battre jusqu’à la mort.
Indicateur du mieux ou du pire?
Les documents de communication et de propagande produits et diffusés par un acteur militaire sont un indicateur de sa santé. Les messages affichés, le langage choisi ou encore le rythme et la qualité de la production donnent une idée de l’envergure de leurs auteurs. Par exemple, un locuteur qui ment montre qu’il n’est pas sur de lui et de son message. Un locuteur qui reçoit des journalistes librement prouve qu’il n’a rien à cacher. Un locuteur qui recycle les messages d’autres acteurs affiche son manque de moyens. Et ainsi de suite.
Si les difficultés de Furat Media sont intéressantes, c’est aussi parce qu’une bonne partie de ses équipes russophones, chargées de la propagande de l’Etat islamique dans cette langue, était basée à Mossoul. La ville reprise par l’armée irakienne et ses alliés n’offre plus la même liberté aux djihadistes pour réaliser leurs documents. On pourrait donc être tenté d’y voir un signe positif: Mossoul libérée, l’Etat islamique pourrait être autant en difficulté que cette succursale dédiée à la communication.
Et pourtant, il convient de rester prudent. Si les messages de propagande de Furat Media ont réduit en volume et en qualité, d’autres prennent le relais et diffusent désormais de nouvelles consignes. Ils multiplient, notamment via Telegram, les conseils pour encourager des combattants isolés à mener des attentats dans les régions russophones. Joanna Paraszczuk, une journaliste spécialisée sur les djihadistes russes, note ainsi qu' »il y a un basculement dans les canaux pro-EI non-officiels pour supporter les attaques de type « loup solitaire« menées par des individus en dehors des territoires contrôlés par l’EI. » Une bonne partie de ces conseils porte sur la fabrication d’explosifs.
C’est d’ailleurs bien la crainte plus globale de beaucoup d’observateurs de la lutte contre l’Etat islamique. La reprise de Mossoul et de Raqqa pourrait ne pas signifier la fin de l’organisation terroriste. L’éparpillement de ses combattants pourrait en effet donner lieu à une nouvelle étape de son djihad global: des logiques plus décentralisée et des attaques plus difficiles à anticiper et à contrer. Il pourrait en être de même sur le plan informationnel: la propagande produite de manière centralisée par les différentes agences médias de l’EI pourrait être remplacée par une production et une diffusion plus horizontales, réalisée par de simples sympathisants à travers le monde.
Or comme le note Magomed Tuaev, correspondant en Turquie de l’agence de presse russe Caucasian Knot, « la politique répressive du gouvernement pousse actuellement la jeunesse vers la radicalisation au lieu de l’aider à comprendre cette dangereuse influence« . Le public ciblé par Furat Media reste ainsi toujours aussi exposé à ses messages. Et si l’agence de propagande russophone de l’EI finissait par disparaitre pour de bon, d’autres prendraient très probablement le relais. Ils n’auraient qu’à reproduire à l’infini les messages, sur le fonds comme sur la forme.