Dans un article qui date de quelques années, le journaliste David Axe décrivait la campagne de lobbying menée par Lockheed Martin en faveur du F-35. Une démarche assez classique dans l’industrie de défense, même si elle se démarque par sa dimension. En France, par exemple, il reste rare de mobiliser de manière aussi colossale des cabinets de relations publiques à une telle échelle. C’est surtout l’opacité des actions menées qui interroge.
Le fabricant de l’avion de combat, objet de nombreuses polémiques quant à l’envolée de son coût et la qualité de ses performances, a visé des décideurs aux profils particulièrement variés. Les parlementaires américains étaient évidemment une priorité. Mais les communicants au service du F-35 ont aussi cherché à convaincre et à mobiliser des militaires (d’active ou à la retraite), des chercheurs, des officiels en tout genre, des journalistes… Et même des religieux.
Dans son article, David Axe raconte l’exemple de Al Bunting, un officier de l’US Air Force à la retraite qui a travaillé comme assistant du commandant de la Garde nationale du New Jersey. Contacté par mail par un citoyen engagé voulant défendre l’aéronef, Brian Dickerson, il a décidé de monter au créneau pour le F-35. Il assure que cette démarche est le résultat de conclusions auxquelles il est arrivé après avoir fait ses propres recherches, sans jamais avoir été financièrement intéressé ou remercié. Dans cette logique, il a par exemple démarché les journaux locaux pour leur expliquer qu’il était urgent de remplacer les F-16 de son Etat afin de les remplacer par des F-35, modernisant ainsi la flotte et créant des emplois dans le secteur.
Le problème, c’est que ses conclusions étaient biaisées: ses assistants avaient pioché leurs informations sur le site de l’industriel… Et de ce bon citoyen qui n’était autre qu’un lobbyiste opérant dans la plus totale opacité. Si Bunting s’est battu pour convaincre le public d’adopter le F-35, c’est d’abord parce qu’il y a été incité par ce brave Brian Dickerson dont David Axe démontre qu’il est lié à des entreprises de communication au service de Lockheed.
Les élus locaux du New Jersey adopteront en juin 2011 une résolution en faveur de l’appareil. Dans celle-ci, les chiffres cités en arguments et les formulations sont identiques à ce qui était publié par Winning Strategies, une agence d’influence à laquelle Brian Dickerson aurait été lié. Beaucoup plus gênant, plusieurs élus ont été rémunérés par cette entreprise, suite à ce vote positif. Les sommes exposées dans l’article grimpent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Chaque année, Lockheed Martin dépense environ 15 millions de dollars dans des campagnes d’influence diverses. Une somme qui n’inclut pas les « dons » réalisés en faveur de différents candidats aux élections locales et nationales.
La campagne pour le F-35 a son pendant 2.0. Sur la toile, les porte-flingues de l’industriel ont avancé sans la moindre transparence dans les débats farouches entre fanas d’aviation, journalistes et académiques. Pour convaincre ce public bien spécifique, des communicants relayaient les chiffres publiés par ce qui avait les apparences d’un simple blog d’expert. L’auteur de ce dernier, un nommé Barry Graff, n’existe que dans sa longue quête numérique en faveur de l’avion: des milliers de tweets, des interventions sur les forums, des articles… Exclusivement dédiés à défendre le chasseur. A tel point que les journalistes doutent de l’existence de l’individu, qui ne serait qu’un prête-nom utilisé par les lobbyistes de Lockheed.