Dans cet article scientifique, Alastair Reed et Jennifer Dowling, deux chercheurs spécialisés sur la propagande de plusieurs groupes qualifiés d’extrémistes, qu’ils soient djihadistes, séparatistes ou d’extrême droite, interrogent ces narratifs spécifiques: pourquoi une telle place à l’argumentation historique dans la rhétorique de ces mouvements ?
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L’Etat islamique décrit la situation géopolitique globale comme un conflit sans fin contre la communauté musulmane. La logique du Califat elle-même va puiser dans des références historiques. Les Irlandais de l’IRA aussi, allaient invoquer l’Histoire en assurant que tous les problèmes contemporains étaient le résultat des siècles d’occupation britannique.
Les auteurs débutent leur raisonnement à partir de la modélisation de la propagande extrémiste développée par le Center international de contre-terrorisme (CTSC). L’ensemble des messages diffusés tend à entretenir ce mouvement cyclique, rompant les liens entre « eux » et « nous », tout en développant des systèmes de valeurs propres à chaque population.
Dans cette construction mentale, symbolique et culturelle, l’Histoire porte des arguments puissants et efficaces. Elle devient la « preuve » d’une « réalité » que le public visé peinera à discuter. Les auteurs notent avec ironie que « l’histoire, comme il est souvent dit, est écrite par les vainqueurs ». Chacun peut donc contester la connaissance scientifique comme étant le simple fruit d’une domination intellectuelle et proposer sa propre lecture des événements:
En connectant la crise actuelle à des événements passés, le propagandiste peut la faire passer pour quelque chose de plus important, comme la dernière manifestation d’une lutte durable. […] Cela accroît la perception de la crise: les événements actuels ne peuvent pas être vus de façon isolée, mais font partie d’un affrontement historique. […] Seule l’action extrême permet de le surmonter.
Cinq manières d’exploiter la rhétorique historique
Étendre la crise. Éloigner les frontières temporelles de la crise, c’est aussi en élargir les contours géographiques et sociaux. C’est justement parce que le conflit est beaucoup plus large qu’il en a l’air qu’il faut choisir de se battre. La rhétorique djihadiste, par exemple, ne cesse de recourir à cette lecture en puisant dans des affrontements vieux de plusieurs siècles comme dans ceux qui opposent des populations partout à travers le monde, même s’il n’existe parfois aucune connexion entre ces différents événements.
La solution est historique. Puisque la crise actuelle fait partie d’un ensemble plus vaste, c’est que le problème n’a jamais été réglé. Le public visé par le message ne peut donc pas se satisfaire de la situation actuelle: il doit adhérer aux solutions proposées par les propagandistes. Solutions qui sont justifiées par leur propre lecture des enchaînements historiques.
Renforcer les clivages. En montrant que la crise est durable, les propagandistes cherchent à renforcer la distance entre une communauté et une autre. Eux et nous sommes différents puisque nous l’avons toujours été. Nous avons d’ailleurs toujours été en train de nous affronter.
Légitimité et crédibilité. En puisant dans l’histoire, le narratif donne l’impression de reposer sur des réalités savantes, sinon scientifiques. Les propagandistes n’hésiteront d’ailleurs pas à faire appel et à prendre à témoin des figures historiques qui peuvent apparaître comme autant de figures d’autorité. Les militants de l’IRA, par exemple, faisaient souvent référence à Wolfe Tone (1753-1798).
Prophétiser. Pour subjuguer la rhétorique historique, le propagandistes peuvent y associer des logiques prophétiques. Le futur n’est pas simplement connecté au passé, il en est la suite logique et connue dès le début de l’affrontement. Les auteurs citent l’exemple d’Al Qaeda qui, en installant une branche du sous-continent indien, faisait référence au hadith annonçant la « bataille d’Inde », qui annonce la conquête de l’Inde par l’islam. Cette démarche fonctionne surtout avec les mouvements politico-religieux, encore que des philosophes pourraient nourrir les mêmes logiques (« Marx a prophétisé que…! »).
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