Il y a quelques jours, je passais pour la première fois à l’antenne de RFI. Un papier de quatre minutes au sujet des réseaux jihadistes dans le Sahel. Derrière le micro de « la » RFI, comme on l’appelle ici et là en Afrique, je pensais à ces auditeurs qui m’écoutaient, à travers le monde. Hier, samedi 2 novembre au soir, je me demandais si eux aussi écoutaient les larmes dans la voix du présentateur de cette radio pour laquelle je travaille : « nos collègues, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sont décédés ».
Je ne les connaissais ni l’un ni l’autre. Mais cette radio génère un esprit très familial autour d’elle, aussi bien au sein de la rédaction que de la communauté des auditeurs. Tout juste l’avais-je croisée elle, dans les couloirs de RFI. Travaillant au site Internet, j’ai par contre pu éditer et mettre en ligne son travail. Au moment de l’élection présidentielle au Mali, nous étions plusieurs à nous amuser de la présence d’une équipe à Kidal. Alors que la grande majorité des journalistes se contentait de Bamako, certains poussant à la rigueur jusque Gao ou Tombouctou, Ghislaine et Claude, eux, étaient à Kidal, déjà. Pourquoi ? Parce que «l’info naît ici», pour reprendre la phrase choc d’une campagne de communication de notre radio.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient des professionnels particulièrement rodés. Tous les deux étaient des piliers de la rédaction de RFI, riches d’une impressionnante carrière qui les a amené à traverser l’Afrique et le monde, d’une crise à l’autre. Dimanche, à Kidal, ils venaient prendre la parole des acteurs de ce lieu emblématique de la situation malienne. D’autres en ont décidé autrement.
Pourquoi aller là-bas ?
Dans l’après-midi de samedi, je scrutais twitter en quête de quelques informations sur leur sort, alors que nous savions tout juste qu’ils avaient été kidnappés. Entre les rumeurs, toutes aussi peu fondées les unes que les autres, une question revenait à plusieurs reprises: pourquoi donc ces deux journalistes étaient-ils allés là-bas?
Ghislaine et Claude étaient à Kidal parce que «l’info naît ici». Pour que certains puissent débattre sur les plateaux télévisés, il fallait que des gens aillent sur le terrain pour récolter les informations, les histoires, les données. Les journalistes en sont une part non négligeable. RFI profite d’un réseau de correspondants et d’équipes de reporters capable de couvrir l’actualité internationale avec passion et sérieux. Souvent au péril de leurs vies car certains préfèreraient moins les entendre. Il y a quelques jours, nous repensions à Jean Hélène pour l’anniversaire des dix ans de son assassinat, dans la Côte d’Ivoire en proie à la violence.
RFI traite encore, à l’heure des statistiques d’audiences toutes puissantes, de crises oubliées. Birmanie, République démocratique du Congo, Bangladesh, Togo, Géorgie, Afghanistan, Irak… Tous ces lieux où se joue l’histoire continuent de faire la une de nos antennes et de notre site Internet. A l’heure où l’on sait que les gens préfèrent entendre parler des commentaires hautement intellectuels de Marine Le Pen, des histoires d’humour entre membres du gouvernement ou encore de la modeste carrière footbalistique de Pierre Ménès.
Pendant ce temps, l’histoire du monde se poursuit. Des gens vivent et meurent dans le déchainement de l’actualité. Pour pouvoir le raconter, pour être les témoins de leurs souffrances et de leurs bonheurs, il faut que des journalistes continuent d’aller sur place. Des journalistes comme Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Et puis parfois, des journalistes qui meurent aussi. Pourquoi? Parce que «l’info naît ici»…