Aussi vite grimpé à la Une des journaux en 2012, Joseph Kony et sa Lord Resistance Army (LRA) sont aussi vite retombés dans les oubliettes. Sur le terrain, des militaires africains, appuyés par des instructeurs issus des forces spéciales américaines, ont pourtant poursuivi l’effort contre ce groupe armé aux exploits particulièrement sanglants. Une large campagne d’opérations d’informations a également contribué, depuis plusieurs années, à lutter contre ces hommes, responsables de tueries, de viols de masse et de kidnappings d’enfants pour en faire des combattants ou pour les prostituer.
Il semblerait que la LRA soit pourtant aujourd’hui dans une situation critique. Ils ne seraient plus que 500 sur les rangs, dont à peine 200 combattants. Des poches qui continueraient d’évoluer en République Démocratique du Congo, ainsi qu’au Soudan du Sud. C’est d’ailleurs là que pourrait être réfugié le leader du groupe, Joseph Kony, même si peu de témoignages solides attestent de sa survie et de sa localisation (il aurait eu d’importants problèmes de santé en 2013).
Surtout, le mouvement aurait été affaibli par la perte de plusieurs de ses chefs. Le dernier en date, Dominic Ongwen, a été capturé au mois de janvier par les militaires ougandais. Envoyé au Tribunal pénal international de La Haye, il assure avoir voulu se rendre. Autre cas crucial: Okot Odhiambo, le second de Joseph Kony, aurait été tué en 2013. De forts soupçons laissent entendre qu’il aurait pu être abattu lors d’un combat en interne. A l’époque, de nombreuses rumeurs circulaient quant à sa possible défection. Plusieurs médias, comme l’AFP, ainsi que le Département d’Etat, considéraient alors que ces annonces d’une désertion du numéro 2 de la LRA étaient plausibles.
« Fuyez, pauvres fous »
Les effectifs de la LRA ont donc fondu comme neige au soleil. Si une partie a été neutralisée pendant des combats, la majorité a accepté de se rendre. Parfois à des rythmes étonnants: en 2014, en l’espace de quelques mois, ils sont des dizaines à déserter, dont des cadres. S’il en reste quelques uns qui continuent de circuler et de commercer avec les autres groupes armés de la région (comme la Séléka en Centrafrique), la tendance majoritaire reste à la poudre d’escampette.
Pendant l’ensemble de cette période, l’armée américaine a multiplié dans la région les opérations d’informations. Le site Defence IQ donne le détail des outils utilisés. La zone étant mal pourvue en moyens de communications, les militaires ont utilisé des supports médiatiques simples: des tracts lancés depuis le ciel, des messages répétés dans des haut-parleurs héliportés, des diffusions radios et des équipes envoyées sur le terrain pour faire circuler l’information. Le leitmotiv semble avoir majoritairement visé les combattants de la LRA en insistant sur les moyens de se rendre et de déserter en sécurité, ainsi que sur les programmes de désarmement et de réintégration.
Le responsable de ces opérations, le colonel Michael Dominique, a assuré au site Defence IQ n’avoir pas participé à la dissémination de rumeurs: « Ce serait mal perçu. Nous sommes là pour contrebalancer dans le domaine de l’information et faire comprendre à quel point les actions de la LRA sont négatives. » Baptisée Observant Command, sa mission a pour point culminant de s’adresser aux hommes de la LRA: « Notre message principal: sortez du bois ».
L’approche est classique de ce que font aujourd’hui les spécialistes des opérations militaires d’influence, information operations chez les Américains. Ils visent à diffuser une information constante, régulière et vérifiée qui doit convaincre les cibles de changer leurs attitudes. La véracité et la crédibilité sont fondamentaux dans ce domaine. Il reste cependant possible que de petites équipes spécialisées dans les opérations de déception, cherchant notamment à viser des chefs militaires comme Okot Odhiambo, aient contribué à faire circuler il y a quelques années des rumeurs de défection pour semer la discorde dans les rangs de la LRA.
Des actions, mieux que des hashtags?
En 2012, le monde s’était brièvement passionné pour la LRA et son chef Joseph Kony suite à une campagne particulièrement virale de l’ONG Invisible Children. Un film d’une efficacité rare, visionné 100 millions de fois, et un usage parfait des réseaux sociaux avaient mobilisé l’opinion publique occidentale. L’idée était alors de faire connaître le chef de guerre et ses crimes pour pousser notamment le gouvernement américain à agir. Des millions d’Internautes avaient alors découvert ou redécouvert Joseph Kony.
Des critiques s’étaient pourtant élevées quant à l’approche un peu simpliste de l’ONG. Son discours simplifiait en effet largement la situation et décrivait le contexte sur le terrain de manière biaisée. Un peu comme pour la campagne récente, au Nigeria, de Bring back our girls, certains observateurs s’étaient inquiété d’une logique de « hashtivisme » qui consistait plus à spammer les réseaux sociaux… qu’à mener des actions concrètes et réfléchies. Malgré les critiques, Invisible Children a poursuivi ses efforts, notamment en matière de lobbying auprès des responsables politiques américains, et a certainement contribué, d’une manière ou d’une autre à la lutte contre la LRA. Si les autorités américaines assurent que l’activisme de l’ONG n’est pas la raison de son implication dans cette région, la visibilité de ce mouvement n’a pas pu passer inaperçue.
L’exemple de la LRA montre pourtant que militer sur les réseaux sociaux ne change pas, en soi, la face du monde. Il aura fallu une campagne coordonnée avec des efforts militaires, politiques et sociaux sur le terrain. L’armée américaine a ainsi opéré aux côté de forces ougandaises et congolaises. L’Union africaine a été impliquée en première ligne avec une force chargée notamment de poursuivre les hommes de la LRA à travers plusieurs pays. L’ONU, très impliquée dans le désarmement en République Démocratique du Congo, a participé. L’ensemble de cette politique, cohérente et coordonnée, est certainement l’ingrédient principal de la chute de la LRA. Les spécialistes de l’influence militaire américains aiment à croire que leurs efforts d’information sur la durée dans cette région ont été la cerise sur la gateau qui a participé à ce succès.