L’affrontement politico-médiatique entre le président Emmanuel Macron et le chef d’état-major des armées (CEMA), le général Pierre de Villiers, est un exemple de choc des rhétoriques entre l’exécutif et l’autorité militaire. C’est aussi une illustration de la maîtrise des stratégies d’influence par les hauts gradés aujourd’hui.
Pour résumer le contexte, le gouvernement a laissé entendre qu’il y aurait une série de coupes budgétaires pour plusieurs ministères. Objectif: rigueur financière pour tous. Pour le ministère des Armées, cela implique -au moins- 850 millions de coupe au niveau des Equipements, avec comme logique de réintégrer les surcoûts des opérations extérieures. Depuis plusieurs années en effet, c’est près d’un milliard par an qui doit être assumé… Par la solidarité interministérielle.
Pierre de Villiers, martyr des militaires
« Dans le plus strict respect de la loyauté, qui n’a jamais cessé d’être le fondement de ma relation avec l’autorité politique et la représentation nationale, j’ai estimé qu’il était de mon devoir de leur faire part de mes réserves, à plusieurs reprises, à huis clos, en toute transparence et vérité. Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités. »
C’est par ces mots que le général de Villiers a justifié sa démission, ce 19 juillet dans un communiqué. Le plus haut gradés des armées rappelle ainsi les grands principes de sa fonction: fidélité à l’autorité politique, fidélité à ses subalternes, fidélités à ses convictions. Dans cet ordre. Il précise aussi que sa décision est dictée par des impératifs, d’abord, et qu’elle se prend dans le respect de son rôle et de ses fonctions, ensuite.
Le général de Villiers a été présenté dans de nombreuses analyses comme un homme qui a le contact facile avec ses troupes. Cavalier et Terrien, il s’exprime dans un langage cru. Vétéran de nombreuses années dans les plus hautes sphères de l’institution militaire, il est un véritable gestionnaire conscient des impératifs budgétaires. Mais il est aussi un fin manœuvrier en termes de communication, d’influence et de politique.
Alors qu’il s’exprime devant les élus de la commission Défense, certains ont vu dans son propos très brutal une erreur. « Je ne me laisserais pas baiser par Bercy« , aurait lancé l’officier. Des parlementaires le répéteront dans la presse. Le militaire ne transgresse pas sa réserve. D’autres que lui, les représentants du peuple, le font. Ils relaient ainsi le désespoir et la détermination du soldat. Et De Villiers s’y attendait: il avait déjà fait fuiter ses menaces de démission par le passé, orchestrant le discours médiatique pour peser dans le rapport de force avec l’exécutif.
Le général De Villiers est parfaitement à l’aise dans cet exercice. En même temps que la cartouche tirée devant les parlementaires, il prépare son appui par une tribune dans Le Figaro. Il y répété le même message avec plus de pondération. Là encore, il appelle les Français derrière lui pour soutenir les soldats qui en ont désespérément besoin: un coup peu risqué puisque l’opinion publique fait largement confiance aux militaires. Enfin, il s’adresse comme il en a pris l’habitude à travers les réseaux sociaux à ses subalternes. Dans sa « lettre à un jeune engagé« , il rappelle l’importance de la confiance et de la fidélité.
Pierre de Villiers le sait. Il se sacrifie pour amener le débat au coeur des préoccupations nationales. Ses inquiétudes sont partagées depuis de nombreuses années par l’ensemble des militaires: ils craignent systématiquement d’être la variable d’ajustement budgétaire pratique. Le soldat ne se plaint pas. Lorsqu’on supprime par dizaines de milliers les postes, il encaisse en silence. Le général n’innove pas parce qu’il démissionne, mais parce qu’il a refusé de rester muet. Ce geste est acclamé par tous ceux qui servent sous les drapeaux. Et il est récupéré par tous ceux qui veulent exister dans le débat. Personne n’oserait s’y opposer. Le martyr parfait.
Emmanuel Macron, chef des armées
Emmanuel Macron, candidat puis président, a joué une carte originale sur la question militaire. Il a compris l’importance du sujet dans le contexte de crise sécuritaire et identitaire qui agite la France. Il a su se positionner en chef déterminé en faisant de la Défense un sujet pendant la campagne puis en effectuant son premier déplacement à l’étranger auprès des militaires en opérations.
En voulant mettre à plat les dépenses de la Défense, il est dans son rôle de chef de l’Etat. La France dépense trop et il faut « faire des efforts », pour reprendre les mots du Premier ministre. Les efforts, les militaires en font déjà beaucoup. Il n’y a pourtant rien d’illégitime à en faire de nouveaux. On aurait pu en discuter: repenser la dissuasion? renoncer à Sentinelle? réduire le volume des engagements internationaux? Le président a préféré faire simple en remettant -encore- à plus tard les investissements dans un matériel dont les hommes ont besoin. Sujet récurrent et dans lequel les coupes sont difficiles à légitimer.
Le président croyait -certainement à raison, mais un peu vite- avoir gagné le soutien des militaires. Mais la « confiance », pour reprendre le mot du CEMA démissionnaire, n’est pas un acquis. Elle se mérite. Et chez les militaires, elle se mérite par l’exemple, sur la durée. Emmanuel Macron a choisi de répondre à la salve de manoeuvres de son général par une autorité de principe du chef des armées, supérieur hiérarchique suprême, le 13 juillet:
« Je suis votre chef. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir et je n’ai à cet égard besoin de nulle pression et de nul commentaire. J’aime le sens du devoir, j’aime le sens de la réserve qui a tenu nos armées où elles sont aujourd’hui et ce que j’ai parfois du mal à considérer dans certains secteurs, je l’admets encore moins lorsqu’il s’agit des armées. »
Le chef de l’Etat n’avait alors pas dit que ça. Il avait aussi promis de vraies réflexions, notamment sur Sentinelle et sur la protection des forces. Mais il a voulu afficher sa fermeté face à un général qu’il présente comme trop bavard. Une erreur: les chefs militaires d’aujourd’hui sont de fins politiques, discrets mais manoeuvriers. Ils savent comment faire entendre leurs messages sans, justement, manquer à leurs devoirs de neutralité et de réserve.
Emmanuel Macron aurait pu s’inspirer le l’expérience de tout jeune lieutenant qui prend le commandement de sa section. A peine sorti de Saint Cyr, le jeune officier sait qu’il doit s’adjoindre avec finesse et subtilité l’appui de son vieil adjudant chef. Il doit trouver l’équilibre pour nouer le dialogue avec ce subalterne expérimenté pour gagner la confiance de ses soldats. La fermeté en est l’un des ingrédients. Mais il faut aussi expliquer et convaincre. Un lieutenant sait que moucher un adjudant-chef un peu récalcitrant en public est une erreur grossière et contre-productive. Un président aurait du savoir que moucher un CEMA de la même manière ne pouvait que produire les mêmes effets.
Le président a pris le risque d’une autorité affichée, dont il pensait peut-être qu’elle était une qualité attendue par les militaires. C’était peut-être un peu tôt. Il se retrouve ainsi plongé dans une crise politique majeure. Il a senti l’erreur rapidement et a tenté de détourner la manoeuvre en évoquant un lobby « militaro-industriel ». Si les Français aiment les militaires, ils n’aiment pas les marchands de canons. Et ces derniers sont aussi largement touchés par la menace d’une coupe de 850 millions dans les Equipements. Or ils peuvent encaisser le coup, vu les bonnes années passées sous François Hollande.
Mais c’est oublier que les militaires souffrent des retards matériels depuis de nombreuses années. C’est oublier le manque de ravitailleurs. C’est oublier l’état des casernements. C’est oublier les rangers fondues au Mali. C’est oublier qu’ils montent au contact dans des blindés qui ont souvent l’âge de leurs pères. C’est oublier que souvent, la climatisation de ces mêmes véhicules est assurée par des bricolages de bouteilles en plastiques.
Peu importe le contenu exact de la coupe, dont on ne connaît pas grand chose pour l’instant. Les militaires encaissent trop depuis trop longtemps. Le général de Villiers l’a compris mieux que le président Macron et a engagé le levier: il a le soutien de tous, quand son chef est isolé. En démissionnant, le général martyr coupe l’herbe sous le pied du chef des armées: la Défense et les Armées ont besoin d’un soutien inconditionnel et ne peuvent plus accepter de souffrir en silence.