Courant janvier 2013, au Mali, c’est un peu la course pour tout le monde. Le Serval français est lancé vers le nord pour restaurer l’unité malienne. Les troupes tricolores sécurisent rapidement le centre du pays, le transformant en hub logistique destiné à poursuivre la reconquête des grandes villes : Gao, Tombouctou, puis Kidal. Chez les indépendantistes touaregs, il faut faire un choix: l’insurrection ou le rapprochement avec Bamako. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, le MNLA, joue la carte de la coopération. Petit exercice de conviction avec l’aide de bons amis.
Le MNLA, une marque à vendre
Entre fin 2011 et début 2012, le MNLA naît dans un contexte de crise régionale. Ses membres sont d’historiques héritiers des mouvements de rébellion touaregs qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène malienne. Une partie d’entre eux revient de Libye, armes et combattants dans les pick-ups, après que leur colonel de Kadhafi n’ait été très démocratiquement exécuté. En février 2012, les hommes du MNLA prennent le contrôle de Kidal, fief touareg situé à l’extrême nord du Mali. Ils déclarent rapidement l’Azawad, la région nord du pays, libre et indépendant.
Pourtant, rapidement, les touaregs du MNLA vont devoir composer avec leurs petits camarades d’Ansar al-Dine. Ces derniers sont proches d’AQMI et du Mujao et n’hésitent pas à leur ouvrir les portes du Mali. Faible sur tous les plans (politique, humain, financier), le MNLA accepte de joindre ses efforts à ceux d’Ansar al-Dine et se voit imposés une charia et un Etat islamique qui sont loin de l’enthousiasmer. Le rêve d’indépendance du MNLA se noie rapidement dans la soif d’islamisation de fous de religions et de trafiquants en tous genres.
Autant dire que pour la majorité des observateurs, tout ce petit monde est à mettre dans le même sac: de dangereux jihadistes, voir « terroristes » pour paraphraser le président Hollande. Très vite, les touaregs du MNLA veulent pourtant sortir de cette spirale en négociant avec les Occidentaux. Ces honnêtes indépendantistes doivent convaincre qu’ils sont comme les Français ou les Américains, des démocrates laïcs et de potentiels partenaires dans la lutte contre le terrorisme.
Plusieurs membres du MNLA seront malgré tout poursuivis par les autorités maliennes au même titre que les combattants d’AQMI, du Mujao ou d’Ansar al-Dine. Nombreux sont ceux qui accusent des hommes du MNLA d’avoir accompagné AQMI dans le massacre d’Aguel’hoc, où plusieurs dizaines de soldats maliens seront froidement exécutés.
Réseaux et amitiés
L’un des premiers à vendre la marque MNLA en Occident, c’est Robert Dulas. Ce Français, homme de réseaux et d’influences en Afrique du nord, a été aussi bien conseiller du président centrafricain Bozizé qu’ambassadeur plénipotentiaire au profit du Niger. Il dirige une société de conseil et de sécurité, Secopex, qui travaille pour différents pays de l’arc sahélien. En janvier 2013, en bon ami des touaregs, Robert Dumas se lance dans une campagne de lobbying en faveur de ces derniers.
Dulas répondra notamment à une interview dans la Tribune de Genève. Alors que le MNLA cherche à rejoindre le camp franco-malien, il assure ainsi que ces touaregs disposent des « meilleurs combattants » et d’une « connaissance extraordinaire du terrain« . Comprendre des supplétifs et surtout, du renseignement, pour les difficiles opérations dans les montagnes du nord et dans les régions à majorité touarègue. « Ils pourraient prendre en tenaille les milices islamistes qui fuient vers le sud« , assure ce bon ami.
« Des contacts ont été pris en France« , poursuit Dulas qui n’hésite pas à avertir les autorités à Paris en comparant la zone au nord de Gao et Tombouctou à l’Afghanistan. L’homme de réseau a en effet organisé « une tournée diplomatique pour leur ouvrir des portes en Europe et aux Etats-Unis« . Dans l’hexagone, des représentants du MNLA ont ainsi été reçus à l’Assemblée nationale, dans plusieurs ministères et au Sénat. Des contacts auraient aussi été noués, selon Dulas, avec l’Algérie et le Nigéria.
En France, le contact est d’autant plus facile que les touaregs ont au même titre que tous les autres maliens une importante diaspora. Plusieurs cadres du MNLA quittent par exemple les bancs de l’université pour rejoindre la rébellion. L’image des touaregs, en dehors de ce conflit, est plutôt positive. Autre avantage en faveur du MNLA, tout le monde, en France, dispose des numéros de téléphone de leurs chefs. Journalistes, chercheurs, lobbyistes, politiques, fonctionnaires… rien de plus facile que de contacter un cadre du mouvement touareg.
MAJ 02/12/13 : Un lecteur bien informé me fait remarquer que le MNLA ne dispose en réalité pas d’importants moyens de lobbying en France. Cette impression d’accessibilité et de visibilité serait plutôt le fait d’un intense activisme individuel de l’un des membres du MNLA qui aurait réussit à envahir les médias, sans toujours en avoir la légitimité. La diaspora touareg ne compterait que quelques dizaines de personnes, dont une partie seulement s’adonnant à des activités militantes et politiques.
Maliens ou touaregs?
La pirouette du MNLA pose problème à de nombreux Maliens qui ne comprennent pas comment les problèmes du Mali ont pu se résumer aux problèmes des touaregs. Alors que ces derniers ont été à l’origine de la déroute de l’armée malienne, début 2012, ils se sont retrouvés dans le camp des libérateurs en participant à l’éviction d’AQMI, du Mujao et d’Ansar al-Dine. D’autres personnalités de ce dernier mouvement, ouvertement islamiste, ont d’ailleurs réussit à rattraper le wagon au dernier moment et à se réintégrer dans les dispositifs de négociation et de paix sociale.
L’effort de lobbying du MNLA a en effet largement porté ses fruits. Installés durablement à la table des négociations, ses cadres ont pu obtenir la prise en compte de la question touareg comme pilier de la reconstruction malienne, que ce soit dans la guerre qui a secoué le pays, comme dans les élections présidentielle et législatives.
Il reste à présent certainement à faire un effort de lobbying interne au Mali. Les hommes du MNLA doivent trouver sur quels arguments jouer pour désamorcer la ligne de rupture qui continue d’opposer les populations du nord et du sud, afin d’éviter un futur foyer de crise. Il faudra pour cela trouver les ingrédients d’une recette identitaire pour ce mouvement qui ne repose plus simplement sur l’appartenance à la communauté touarègue, mais sur celle à la Nation malienne. Ce n’est à priori pas la direction qui semble se dessiner à l’écriture de ces lignes, alors que le MNLA « déclare la guerre » à l’armée malienne.