Le rapport à l’urgence est souvent une contrainte majeure pour la communication opérationnelle. Dès lors qu’un événement survient, les médias réclament des réponses immédiatement. Il faut savoir… quitte à ne pas savoir grand chose. Et si la réponse ne vient pas des instances officielles, les journalistes se contenteront souvent d’informations de seconde main ou partiellement vérifiées. En cas d’erreur, les conséquences peuvent être importantes.
On se souvient encore du cas Uzbin, en 2008. Le ministère de la Défense n’est pas parvenu à communiquer suffisamment rapidement et les journalistes ont alors obtenu des informations via d’autres canaux: familles, militaires sur le théâtre, officiers ayant des fragments d’information. Le moindre doute devient alors une information potentielle. Des soldats auraient pu être tués par des tirs fratricides, d’autres auraient pu être tués au corps à corps. Dans son ouvrage La guerre pour l’opinion publique, le général Benoit Royal, ancien patron du Sirpa Terre, note à propos de cette bataille que «sans aucune précaution écrite, en l’absence de la moindre mise en perspective, des journaliste français ont offert une tribune idéologique gratuite à des adversaires.» «Après avoir été pris à parti par le feu ennemi, le contingent français a été pris sous celui de la presse.»
Au Mali et en RCA, aller plus vite que l’information
La leçon a été parfaitement retenue par les militaires qui cherchent désormais à anticiper ce type de drames. En cas d’incidents, la chaîne communication est désormais capable de faire remonter très rapidement des informations afin d’assurer à Paris une capacité optimale de communication. La force reprend ainsi en partie le contrôle d’un agenda qui lui avait parfois échappé au cours des conflits récents. Cette maîtrise de l’agenda est d’autant plus renforcée que, au Mali comme en RCA, les journalistes peinent à accéder au terrain et à d’autres sources que celles de grandes organisations (institutions, armée, ONG…).
La semaine dernière, des militaires français de l’opération Sangaris ont été pris dans des combats les opposants à des individus armés. Une colonne de combattants qui menaçait le village de Boguila. Face à la persévérance des attaquants, les tricolores ont eu recours à de l’armement lourd et à de l’appui aérien. Une partie des quarante combattants adverses ont été abattus, sans pertes côté français.
Ces combats ont eu lieu le 5 mai dans la soirée et ont duré plusieurs heures. L’information était diffusée dès le lendemain dans la matinée, par le porte-parole de l’état-major des armées, dans une déclaration à l’AFP. Le colonel Gilles Jaron explique ainsi: «Des éléments de Sangaris ont été attaqués par un groupe armé important, d’une quarantaine d’individus, engagés dans un raid sur une route provenant du nord de la RCA et allant en direction du village de Boguila». Factuel et précis, son récit se montre informatif. Il sera immédiatement repris par l’ensemble des médias.
Si l’information est largement relayée, elle sera peu vérifiée. Rares sont les médias capables de déployer des journalistes dans cette partie du nord-ouest africain. Rares aussi sont ceux qui disposent de moyens de joindre des contacts locaux. Les seuls éléments de confirmation de ces événements seront des images tournées par les militaires eux-mêmes. Mises à disposition des rédactions en moins de 24 heures, elles donnent un aperçu de la violence des affrontements. On y voit les soldats français couchés, tirant sur l’adversaire. On y voit également les tirs de l’aviation et des appuis au sol. L’opposant est invisible.
Clair et efficace, cette action de la communication opérationnelle assure un discours clair de la part de l’institution. Ici, Sangaris a protégé la population locale, a repoussé l’adversaire sans faire preuve d’une agressivité exagérée et n’a pas encaissé de pertes. Mission accomplie. Un retour parfaitement positif et surtout, incontestable par les médias qui ne peuvent vérifier la situation sur place. Si les adversaires en question tentaient de défendre une autre version, leur parole arriverait de toute façon beaucoup plus tard et ne pourrait être étayée par autant de «preuves».
Faute de moyens sur le terrain et d’une volonté d’entrer dans les terres centrafricaines, les médias français sont totalement dépendant des moyens militaires. C’est ici une répétition de ce qui s’est passé au Mali où l’armée a pu manager les médias avec précision. Au fur et à mesure de la progression des forces Serval, les reporters étaient répartis en fonction du besoin communicationnel, depuis les premières lignes, jusqu’aux arrières. Suscitant même des jalousies pour les moins bien positionnés, déçus de ne pouvoir montrer leur part de la guerre avec les pans et les booms qui vont bien.
Maîtriser et répartir les discours
Parfois, lors de périodes charnières d’un conflit, la parole échappe au contrôle et chacun s’exprime en dehors de son champs de compétence. Uzbin, encore, avait été caractéristique de ce type de choses. La parole avait alors été monopolisée par les politiques, au pouvoir ou dans l’opposition, réduisant l’expression des militaires à leur portion congrue. Dans son étude sur le récit de la guerre en Afghanistan, la chercheuse Barbara Jankowski remarque ainsi que «les seuls acteurs qui ont une perception réaliste de la situation et des progrès locaux, les soldats eux-mêmes, n’ont pas été assez visibles dans les médias».
Dans les exemples cités plus haut, la répartition des tâches semble avoir été bien respectée. Ainsi, c’est bien l’état-major des armées qui relaie les informations venues du terrain, avec un discours très factuel. Pour ce qui relève du volet politique, le pourquoi de l’engagement, les responsables de l’exécutif se sont relayés avec leurs discours respectifs. François Hollande a ainsi justifié l’intervention tandis que Laurent Fabius insistait sur la proximité entre France et Mali, Jean-Yves Le Drian soutenant le dispositif militaire sur le terrain. Tous trois se sont concentrés sur un discours argumentatif, destiné à l’opinion publique, évitant de s’engager dans des commentaires trop techniques de la situation opérationnelle.
Le ministre de la Défense semble d’ailleurs continuer de ne pas négliger certains enjeux. Ainsi, la mort du sergent Marcel Kalafut, le 8 mai, au Mali, n’est pas annoncée par l’état-major des armées. C’est Jean-Yves Le Drian lui-même qui l’annonce en direct lors d’une interview TV/radio. Cette perte humaine est ainsi positionnée dans un registre bien particulier: elle ne relève ni de la tactique ni de la stratégie, mais bien du registre du politique. Il est ainsi présenté comme mort pour la France, dans une action collective impliquant la Nation dans son ensemble. Une approche qui doit également permettre d’éviter les discours victimisant sur les soldats tués en opération.