L’organisation de l’Etat islamique (OEI) vient de sortir une vidéo d’exécutions qui se renouvelle dans l’horreur. Sur trois séquences différentes, des prisonniers sont tués de manière plus sadiques les unes que les autres: cinq sont noyés dans une cage plongée dans une piscine, sept sont tués par un câble d’explosif enroulé autour de leurs cous, quatre sont brûlés vifs dans une voiture prise pour cible par un tir de lance-roquette.
Lorsque l’on analyse une vidéo de propagande, on s’intéresse à la fois au fonds et à la forme. Ici, le fonds ne change pas tellement: il s’agit de montrer au monde le sort réservé à ceux qui s’opposent à l’OEI, afin d’entraîner la fierté des sympathisants et la terreur chez les autres. Sur la forme, on retrouve tous les classiques: vestes orangées pour les condamnés, aveux arrachés devant la caméra, plusieurs angles de vue en haute définition (utilisation notamment de Go-Pro), bourreaux guidant les victimes vers la mort, chants religieux et revendications signées. La seule nouveauté, c’est le franchissement d’un cran en termes d’horreur. Comme si les décapitations, tueries de masse et autres explosions ne suffisaient plus. Les auteurs semblent ici s’être posé une question sordide: que pourrions nous inventer comme manière de tuer nos ennemis? Et si on les filmait en train de se noyer dans une piscine? Bonne idée!
Mais pourquoi chercher ce type d’effets? Une hypothèse pourrait être la perversité des auteurs. On peut difficilement s’en contenter lorsque l’on sait à quel point la communication de l’OEI est codifiée et organisée, même si le contexte se prête largement à la surenchère sadique. Une autre hypothèse est la volonté de capter l’attention d’un public qui tend à s’intéresser à autre chose. Alors que les combats se poursuivent en Irak et en Syrie, les opinions publiques étrangères sont largement revenues à leurs préoccupations quotidiennes. La couverture médiatique est, pour les mouvements armés non étatiques (les groupes terroristes), un élément fondamental garant de leur subsistance. Dans le cadre de l’OEI, la propagande est de plus un important vecteur de recrutement. Or la grande majorité des médias dépendent aujourd’hui d’un besoin de renouvellement et de nouveauté permanent.
L’OEI nous avait proposé toutes sortes de thématiques pour ses messages de propagande. Depuis les publi-reportages réalisés par un journaliste captif, jusqu’aux vidéos de loisirs entre jihadistes dans un joyeux parc d’attraction où s’amusent les enfants, le mouvement a montré une certaine capacité à proposer des « angles » alternatifs. N’empêche qu’on a aujourd’hui un peu fait le tour: la réalité de la guerre n’est pas toujours compatible avec les attentes médiatiques. Comme l’armée française en Afghanistan avant elle, l’organisation jihadiste est confrontée au désintérêt des médias. « ISIS supplie votre attention« , note fort à propos un confrère du site américain DailyBeast.
Malgré l’horreur de la démarche, cette vidéo n’a que été que relativement peu évoquée dans les médias. L’actualité restant très riche, il n’y a pas eu beaucoup de temps pour se consacrer à la dernière surenchère morbide de l’OEI. On peut y voir un signe d’une perte de vitesse en termes d’influence sur l’agenda médiatique et sur le récit du conflit qui se déroule en ce moment à la fois dans la région, et dans le reste du monde. Une tendance qui restera à confirmer dans les mois qui viennent: la série d’attaques menées aujourd’hui et le traitement médiatique sur le ton de la panique risquent d’apporter un soubresaut de visibilité à l’OEI.
Nous verrons également si, dans ce domaine, l’OEI est capable d’innover. En effet, rares sont les armées et les organisations qui parviennent à maintenir l’intérêt du public sur la durée. Cela se manifeste souvent dans nos pays par une chute de l’adhésion des citoyens aux interventions extérieures. Le groupe jihadiste pourrait devoir faire face à un phénomène semblable: progressivement, ses supporters risquent de partir vers d’autres intérêts, sujets, pratiques. Un terreau qui ne peut qu’être favorable à la coalition internationale opérant actuellement contre l’OEI. Nous pourrions même nous retrouver dans un paradoxe contre-insurrectionnel que nous n’avons pas, à ma connaissance, connu jusqu’ici. Pour une fois, le temps pourrait être l’allié de la force d’intervention plus que de celui du mouvement insurgé. L’OEI, en voulant s’imposer comme un Etat, a peut-être sacrifié certains de ses avantages.