« En France, RT est mal aimée. » Lorsqu’il s’agit de troller, on pense habituellement assez spontanément aux Russes, plus coutumiers de l’exercice. C’est pourtant sur ce titre provocateur que le site dédié à la lutte contre la désinformation du Service européen d’action extérieure (SEAE), Eu vs Disinfo réagit à l’actualité concernant la chaîne russe. Article qui va d’ailleurs un peu vite dans ses conclusions et manque l’essentiel de la situation nationale.
Qualifiant RT France de « chaîne russe controversée financée par le Kremlin » -ce qui est vrai-, l’article explique qu’elle peine à trouver son public dans l’Hexagone. Il note que RT France a été rappelé à l’ordre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) concernant de mauvaises traductions dans le cadre du conflit syrien. L’organisme a mis en demeure la chaîne, dénonçant des « manquements à l’honnêteté, à la rigueur de l’information et à la diversité des points de vue« . Eu vs Disinfo relève de plus qu’un projet de loi contre les « Fake News » est en cours de discussion et qu’il viserait directement RT France et Sputnik France.
Imprécis
C’est en réalité tirer des conclusions un peu rapides. Dans son exercice de contre-propagande, le site s’autorise ici quelques approximations, probablement imputables à la mauvaise compréhension générale de ces dossiers, y compris en France. Beaucoup d’observateurs ont en effet tendance à mélanger ces différents sujets et à en grossir l’importance.
- Mauvaises audiences ?
Il est un peu tôt pour conclure à l’échec de RT France pour trouver son public. La chaîne souffre d’une faible visibilité, du fait de sa présence sur un unique diffuseur (un second devrait bientôt s’ajouter). Pour autant, son public naturel, déjà sensible aux narratifs venus de Russie avant l’implantation de RT dans l’Hexagone, semble ne pas spécialement la bouder. Sur les réseaux sociaux, notamment, ses contenus sont régulièrement relayés. Ne connaissant pas les objectifs que s’est fixé RT en France, ou même le volume de ses audiences, on peut difficilement évaluer si la réussite est au rendez-vous ou non. Pour l’instant en tout cas. Nous noterons que la chaîne parvient à alimenter ses différents programmes et que l’intérêt des médias français, très hostiles, a diminué.
- Avertissement du CSA
Un tel avertissement du CSA n’est pas, en soit, une catastrophe pour RT France. Il suffit de regarder avec quel mépris les mises en demeure visant Touche pas à mon poste ont été reçues par les équipes de Cyril Hanouna. Cela ne semble pas avoir spécialement eu d’impact sur leurs audiences. La mise en demeure n’est d’ailleurs pas une sanction mais un avertissement, public. Si la chaîne ne se plie pas à celui-ci, plusieurs sanctions peuvent être envisagées, allant de la suspension temporaire de séquences publicitaires (RT n’en a pas) jusqu’au retrait de l’autorisation de diffusion. La direction de RT France a plaidé l’erreur technique et, en soit, malgré tous les soupçons qui pèsent sur ce réseau, nous n’avons pas d’éléments pour affirmer le contraire.
- Loi anti-Fake News
Le lien entre cette loi et les médias russes est souvent fait. RT France et Sputnik France, d’ailleurs, ne cessent de se présenter en cibles de celle-ci. Ce n’est pourtant pas vrai : ce projet de loi vise à éviter les ingérences non identifiables pendant les campagnes électorales dans l’espoir de pouvoir contrôler les tentatives de lancer des rumeurs. Toute personne ou organisme diffusant des publicités sur les réseaux sociaux devra les signer. Si RT France et Sputnik France ne font qu’informer le public avec des contenus irréprochables, aucune raison de se sentir menacés. Et s’ils diffusaient des contenus politiquement orientés sur Facebook ou Twitter, ils seraient simplement obligés de les signer. Dans l’état, le doute porte surtout sur la capacité de la Justice à accompagner la démarche de cette loi.
Situation tendue à RT France
Si la situation de RT France est difficile aujourd’hui, ce n’est en réalité pas tant du fait de son audience, que de celui des ressources humaines. En interne, un nombre conséquent de journalistes se montre déçu par les choix éditoriaux et organisationnels de la chaîne. La rédaction en chef regretterait ainsi d’intervenir trop peu dans les décisions concernant les sujets et les angles, largement discutés par la directrice en lien avec Moscou. Des journalistes regrettent également de ne pas pouvoir se rendre assez sur le terrain. Beaucoup se retrouvent pourtant contraints de continuer à travailler chez RT France, faute de places ailleurs. A plusieurs reprises, certains employés ont évoqué l’idée de faire grève… Ce qui est inquiétant dans une rédaction aussi jeune !
RT France peine également à convaincre nombre d’intervenants de se présenter sur leur antenne. Beaucoup de chercheurs, d’élus et autres spécialistes continuent de voir dans cette chaîne un pur instrument de propagande. Pour eux, venir contre-argumenter fait courir le risque d’être les idiots utiles d’un système qui pourrait se féliciter de sa pluralité. En l’état, RT France se retrouve en grande partie contrainte de se reposer sur ses réseaux naturels, proches de la Russie et la droite la plus conservatrice. Malgré quelques exceptions, la chaîne peine à se défaire de ce blocage. Cela nourrit d’autant plus son image de propagandiste que les discours sont souvent unanimes et parfois de mauvaise foi.