Dans une rencontre entre les journalistes spécialisés défense et le chef d’état-major de l’armée de terre, s’est posée ce matin la question de la Centrafrique. Suite aux accusations d’agressions sexuelles contre mineurs, dont plusieurs soldats français sont soupçonnés, les reporters s’interrogent sur la communication du ministère de la défense. Incompréhension totale: pourquoi avoir attendu que l’affaire explose alors que l’institution était au courant depuis juillet dernier? « En matière de communication, analyse un confrère, lorsqu’on rate la première marche, on ne peut que dégringoler tout l’escalier.«
Par le passé, l’armée française avait pourtant habitué à plus de transparences, comme lors de l’affaire Firmin Mahé. Lors de l’ouverture d’une enquête, il est toujours possible de communiquer en disant… que l’on laisse l’enquête se dérouler! Cela permets de renvoyer les individus à leurs responsabilités tout en montrant que l’on prend, en tant qu’organisation, les siennes. Avec un peu de chance, les journalistes finiront en plus par oublier, l’actualité se montrant souvent très volatile: une quinzaine de jours d’enquête suffit souvent à éloigner le gros des médias.
Ca casse ou ça casse
Difficile de savoir à quel niveau a été pris cette mauvaise décision de faire profil bas et de croiser les doigts pour que l’info ne sorte pas. Le patron de l’armée de terre, le général Bosser, semble lui-même ne pas avoir été sur une telle ligne discrétionnelle. Il n’empêche que la responsabilité ne lui en incombe pas mais relève de l’état-major des armées et du cabinet du ministre. En tous les cas, l’officier constate que la situation est grave dans tous les cas. Si les faits sont avérés, c’est catastrophique car une poignée d’individus auront entaché l’action de l’ensemble de la force. Si les faits ne sont pas avérés… c’est catastrophique car l’image de l’institution est de toute façon impactée. L’affaire montre en effet que l’armée ne bénéficie pas de la présomption d’innocence… et que l’ensemble des militaires se retrouvent mis dans le même sac.
Les effets sont visibles en France, où certains médias s’en sont donnés à coeur joie, entre mauvais goût et fautes professionnelles. Le jour des révélations, les animateurs de RMC n’hésitaient pas à dénoncer une armée de violeurs protégés par la Grande Muette, au delà de toute retenue. Moi-même, je voyais une interview du site Atlantico sur la sexualité des soldats titrée avec élégance et subtilité « RCA, Tchad, Guinée: comment l’armée française contrôle les pulsions de ses soldats » (et peu importe si l’on ne parle ni de Tchad, ni de Guinée, et s’il s’agit ici d’un raccourci honteux et mensonger). Au delà de la sphère médiatique, un centre de recrutement de l’armée s’est vu agrémenté d’un sympathique graffiti: « soldats français, violeurs d’enfants« .
On notera l’humour des Guignols de l’Info, qui ont pu nous gratifier de cette jolie image, légèrement reprise sur les réseaux sociaux:
Enfin, pour tous les groupes, organisations, individus, hostiles d’une manière ou d’une autre à la France et à son armée, c’est l’occasion rêvée de faire circuler les accusations. Partout sur le continent africain, où la rumeur cause souvent d’importants dommages, on voit ainsi émerger sur les sites « d’information » et dans les journaux des articles encore moins mesurés que ceux publiés en métropole (ici au Mali par exemple).
Rattraper le tir?
Que faire maintenant que l’erreur a été faite? Difficile pour l’institution de convaincre les médias de sa bonne foi, après avoir été silencieuse si longtemps sur le sujet. Les supports habituels de désinformation s’en donnent de fait à coeur joie (comme ici, avec cette affirmation déconcertante sur fonds d’analyse géopolitique anonyme: « Les affaires de viol et de pédophilie de la part de soldats sur les théâtres d’opérations ne sont un secret pour personne.« ). Dans un contexte où les adversaires s’observent et se montrent prêts à exploiter les moindres failles d’images pour discréditer leurs opposants, une telle erreur est impitoyable (ici chez les Iraniens).
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, n’a probablement pas arrangé les choses avec une déclaration dans la presse des plus hâtives. S’adressant aux coupables présumés, dont on ne sait pas encore s’ils existent, il leur lançait dans le JDD: « Si d’aventure un seul d’entre eux a commis de tels actes, qu’il se dénonce immédiatement. » Si violeurs il y a, nul doute qu’il se dénoncera face à la colère du ministre…
Les militaires, eux, font profil bas. Dans l’attente des résultats de l’enquête, personne ne sait vraiment quoi en penser. Le chef d’état-major de l’armée de terre, lui, assure qu’il n’y a pas eu plus de retours des régiments concernés quant à des doutes ou des délations sur de possibles suspects. Sur le terrain, malgré quelques insultes qui n’ont rien d’inhabituel, les Français ne semblent pas faire face à une hostilité plus élevée qu’avant ces révélations. Reste à attendre les conclusions de la justice… et à encaisser les dégâts en termes de réputation. C’est en effet ce qu’il y a de mieux à faire: arranger les dommages au maximum en évitant de nouvelles erreurs de communication.