Au cours du mois qui vient de s’écouler, pas moins de trois événements ont été consacrés à des exercices rhétoriques au sein des Armées. La preuve qu’un effort vers plus d’éloquence est une priorité dans la formation des futurs cadres, depuis les écoles jusqu’au plus haut niveau.
Le 6 juin, la ministre des Armées accueillait aux Invalides la finale du tout premier concours d’éloquence des grandes écoles organisé par le ministère. Se sont affrontés sur scène, devant un jury composé de hautes figures de l’institution et de l’université, des représentants de plusieurs formations militaires et civiles. C’est finalement l’élève officier d’active Emma, venue de Saint-Cyr, qui l’emporte avec un discours sur le thème « Quand on est jeune, c’est pour la vie ».
En introduction, Florence Parly avait justifié cet exercice en affirmant que « la parole est au centre de tout« . La rhétorique, après de nombreuses années à passer pour un artifice obsolète, revient sur le devant de la scène (Perelman 2000). Du fait des besoins croissants d’expression dans une société de l’information et de la communication. Mais aussi de celui de l’avocat Bertrand Perier, dont le travail d’enseignement de l’éloquence en Seine Saint-Denis a donné lieu à un très joli film.
Ces concours se multiplient dans toutes les grandes écoles, de HEC à la Sorbonne, en passant par Sciences Po. Pour le lieutenant-colonel Boute, directeur de l’enseignement de plusieurs organismes militaires, la discipline devient incontournable:
Il est, en effet, plus que temps de montrer que l’expression « La Grande Muette » ne correspond plus à la réalité. Le militaire peut s’exprimer comme tout citoyen et il le fait bien, en respectant évidemment la discrétion que requiert la spécificité de son métier. Certains ont pris la plume avec succès ces dernières années, d’autres continueront à prendre la parole.
A l’Ecole de Guerre aussi
Ce 28 juin l’Ecole de Guerre organisait de son côté une seconde édition de sa Croisée des Mondes. Pour clôturer l’année d’études des futurs officiers supérieurs, l’exercice s’inspire beaucoup des formats TedX (voir par exemple ici le général Stanley McChrystal), de plus en plus à la mode. Les militaires qui s’y prêtent sont assez bluffants dans leurs performances et montrent une maîtrise parfaite de l’écriture, de l’expression orale, de l’éloquence et de l’occupation physique de la scène.
Même le directeur de l’école, l’amiral Loïc Finaz, s’est prêté avec élégance au jeu. Cette rencontre est un parfait exemple de ce que souligne le lieutenant-colonel Boute : là, l’institution a montré une capacité rare à l’expression, y compris sur des sujets particulièrement délicats. Se sont ainsi exprimés deux officiers du GIGN et une officier venue du renseignement qui, le temps de partager leur expérience, ont même renoncé à cacher leurs visages.
Encore du chemin à parcourir
Si ce rapport à l’expression semble parfaitement maîtrisé par les plus jeunes, la Délégation à l’information et à la communication de la défense (Dicod) et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de la défense nationale (Anaj-Ihedn) ont tenté de leur côté d’organiser une scène comparable, sur un format TedX, le 6 juin dernier. Sur scène, des hauts responsables civils et militaires du plus haut niveau se sont relayés pour convaincre que les Armées pouvaient nous rassembler.
L’exercice nous parait pourtant largement loupé : la plupart des participants ne maîtrisaient pas le format. Le général Grégoire de Saint-Quentin par exemple, malgré une exceptionnelle carrière opérationnelle, peine à persuader car il parle comme s’il participait à n’importe quel salon de recrutement. Dans de telles prises de paroles, difficile de se contenter des silences habituels sur certaines opérations. Soit on s’expose, soit on se tait. En cela, les plus hauts gradés français restent peut-être encore maladroits. Nul doute en tout cas que la relève saura rattraper cela.